encre1


Jean-Michel Maulpoix 

& Cie


Cahier de nuit


S’il est une encre avec laquelle composer encore une petite musique de poèmes, c’est un lac noir au-dedans de nous, une eau dormante dans un ventre de nuit. Elle attend qu’on y mette le fer pour sortir ces espèces de sombres enfants ou de parents perdus que chacun porte en soi. Il ne s'agit plus de chercher la beauté, mais de poser les questions qui empêchent de dormir et prendre des notes d'insomnie. Que reste-t-il de nos raisons de vivre quand nos liens se dénouent ? Quand la solitude de la vieillesse ne vient pas seule, mais accompagnée de la défaite définitive de l’amour ? Quand la vie se met au passé, que faire de l'enfance qu'il nous reste ?

Les traces écrites de ce « cahier de nuit » sont de peu de mots, d'une écriture simple, assourdie, raccourcie, déformée par une main malhabile. Ces vers sont de la poésie murmurée qui n’élève pas la voix et interroge ce qu'il reste de raisons d'être et de désir dans la tête d'un vieil homme qui considère avec stupeur les ombres de son propre inconnu. Elles s’agitent en lui. Dans la nuit, il entend des cris ! La poésie se brise comme l'amour. Pas de main secourable ! (J.-M.M)









Baudelaire
                                                          l'homme des
                                                          foules

Charles Baudelaire, L’homme des foules, éd. Pocket

en librairie, le 29 février

J'emprunte l’intitulé de cet ouvrage à une nouvelle d'Edgar Poe, extraite des Nouvelles Histoires extraordinaires, que Baudelaire a traduites en 1857, « L’homme des foules ». Cette expression n’est pas inconnue aux lecteurs du poète français : on la retrouve dans le titre de l'un des chapitres du « Peintre de la vie moderne » : « L’’artiste, homme du monde, homme des foules et enfant ». Pourquoi l’avoir choisie, plutôt que d’autres ? Parce qu'elle prend valeur de définition et nous projette directement au cœur de l'expérience de la grande ville où naît l’œuvre poétique de Baudelaire. Elle fait écho à l’un des « petits poèmes en prose » les plus importants du Spleen de Paris, « Les foules », où se voit définie la manière dont le poète se rend sensible au mystère et à la misère d’autrui.
Toutefois, « l'homme des foules » reste ici une formulation ouverte, qui n'entend pas résumer à elle seule l'identité du poète, mais invite au contraire à en examiner les figurations multiples, comme à explorer les replis obscurs de la grande ville engourdie par le brouillard et la pluie où se développe son œuvre : un univers urbain moderne qui se transforme rapidement, de plus en plus dominé par la loi du marché et du nombre. Elle conduit à prendre la mesure de l'impersonnalisation qui affecte l'identité du flâneur et à considérer sa manière très singulière de voir sans être vu, ou de se faufiler secrètement à l’intérieur d’autrui. Elle mène droit aux « vérités amères » : pauvreté, solitude, abandon, angoisse, douleur, mort et mal, qui rongent de l’intérieur cet univers urbain. Mais elle invite aussi à prendre en considération quelques « promesses de bonheur » : la beauté furtive, la passion des images, les séductions de la mode, voire une lueur d'amour rêvé, saisie sur le visage à peine entrevu d’une passante en grand deuil…
C'est donc bien à une traversée de l'œuvre baudelairienne tout entière, dans ses plis et ses horizons, que convie ce cheminement critique sur les pas de « l'homme des foules », en demeurant au plus près des textes et en marquant des étapes dans ses œuvres principales : Les Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris, Les Paradis artificiels et Les Salons.



Poésie/Gallimard

Rue des fleurs précédés de Pas sur la neige, Poésie/Gallimard

(février 2024, 208 p.)



Après Une histoire de bleu (2005),  Rue des fleurs (Prix Goncourt de Poésie 2022) et Pas sur la neige (2004) sont accueillis dans la collection "Poésie/Gallimard", accompagnés d'une préface d'Henri Scepi. J'en suis très heureux.

Voici donc des vers et des proses, réunis sous une même couverture : de la neige et des fleurs, qui ne sont pas sans parentés, quand dansent ensemble au printemps l'éclosion et la chute, ainsi que s'en souviennent "les pétales tombés des cerisiers de mai", chers au cœur de Guillaume Apollinaire.



Christian
                                                          Gardair

Christian Gardair, acrylique sur papier

"Mon rouge idéal"

par Jean-Michel Maulpoix

Texte d'une intervention au colloque sur les Salons de Baudelaire à l'Université de la Sorbonne, le 8 décembre 2023.

L'idéal a-t-il une couleur ? Voilà une curieuse question, que Baudelaire conduit à poser... Sous sa plume, si la teinte hypothétique de l’idéal n’est pas la transparence laiteuse des éthers et des nuées du poème « Élévation », où l’esprit se pâme et se purifie, on pourrait s’attendre à ce qu’elle soit la « mélancolie du bleu » dont souffre Samuel Cramer, un blues avant la lettre pourrait-on dire, maladie de l'idéal...

Or il n'en est rien... Baudelaire a su éviter ce cliché. Son spleen est pour l'essentiel de tonalité grise, comme les brouillards qui enveloppent les ciels et les murs de Paris. Quant à l'idéal, c'est simple : il est de couleur rouge.

(lire la suite...)






La petite histoire

"La petite histoire"

encre et aquarelle, collection particulière.


Galerie virtuelle

J'ai plaisir à présenter sur ce site, essentiellement consacré à la littérature, quelques encres, aquarelles et tableaux récents. La peinture n’est pour moi ni un métier ni un divertissement. Plutôt la continuité d’un toucher, le pinceau venant remplacer la plume. Mais c’est aussi, parfois, la substitution d’un monde coloré à un univers monochrome, celui des mots. Dans le geste de peindre, le rapport au sens n’est plus prépondérant, non plus que les mélodies de la langue. D’autres rythmes se font jour, cependant que j’entre dans un curieux silence où apparaissent et disparaissent des formes, un « espace aux ombres » aurait dit Henri Michaux… Mais ce sont toujours les mêmes labyrinthes intérieurs qui cherchent leur tracé et leur issue en couvrant la blancheur de mots, de signes, de formes, ou de couleurs.
J.-M.M

(Pour tous renseignements relatifs à ces encres et aquarelles écrire à courrier@maulpoix.net )





Le Jardin sous la neige Maulpoix


 « Le jardin sous la neige » : un titre simple, pour un livre de proses simples, mais dont je souhaite ici m'expliquer un peu…

Qu y a-t-il sous la neige dans un jardin d'hiver ? Une terre épaisse, humide et noire, dont on dit volontiers qu'elle dort… C’est une image commune… Mais elle me fait songer à la charge de fatigue du « Moïse » d'Alfred de Vigny : « Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre »… N'y a-t-il là-dessous que de la nuit ? N'est-ce pas plutôt une certaine qualité de silence ?

Pendant l’hiver, la terre attend… Serait-il exagéré de parler alors de sa solitude : la végétation disparue, les oiseaux en allés, les petits mammifères calfeutrés dans leur terrier, quand ne reste plus que le noir de la mémoire des morts ?

En vérité, il y a du monde dans ce jardin inerte où sédimente la glaise humaine et animale... La terre d’hiver fourmille de vies engourdies qui attendent de sortir du sommeil. Qu'on s’en souvienne : il y a sous la neige la promesse d'un printemps que la blancheur protège !

(Lire la suite)...






Sarraute


Elle a l'ouïe si fine....

 

(Nathalie Sarraute à l'écoute...)


par Jean-Michel Maulpoix


Quelqu’un tend l’oreille et voudrait comprendre. Les humains sont de petites phrases. D’une langue apparemment simple et sûre. Mais il y a dans leurs paroles des échardes ou des fissures. C’est cela que Nathalie Sarraute
 s’efforce d’entendre. C’est de cela qu’elle prend soin. Ces fines coquilles qui se craquellent. Ces incertitudes. Ces cailloux minuscules dans les souliers vernis de la langue. (lire la suite...)




Baudelaire

Le coeur de Charles Baudelaire


par Jean-Michel Maulpoix


Le motif du cœur est omniprésent dans l’œuvre de Charles Baudelaire où il participe directement au travail de figuration du poète : cœur mis à nu, cœur ailé d’Agathe, cœur des filles en qui Satan a mis « le culte de la plaie et l’amour des guenilles », cœur mangé de « Causerie », cœur offert à la « muse vénale », ou distrait de sa propre rumeur par la rumeur de la mer, cœur « gros de rancune et de désirs amers », ou froid cœur « de neige » de la Beauté,  cœur irritable de « Sonnet d’automne », cœur amoureux ou cœur plaintif, cœur vendangeur de « Semper eadem » enivré d’un mensonge, cœur cherchant l’oubli et l’ivresse…

Cette présence est si assidue dans « Spleen et idéal », première partie des Fleurs du Mal, que le traditionnel foyer du sentiment y devient l’organe du spleen : une rate en quelque façon rehaussée, avant son définitif "ravalement" dans l’estomac rimbaldien… Ce cœur mélancolique, accablé par l’animalité et dévoré par la spiritualité, est un lieu de souffrance et d’aspiration, un carrefour où transitent et s’opposent des forces contraires. (lire la suite...)

(télécharger le PDF de ce texte)






Rue des
                                                          fleurs


Rue des fleurs  (Mercure de France)

(poèmes)

Éditions du Mercure de France, février 2022.

« Les poèmes sont des fleurs, dit-on parfois. Ne parle-t-on de florilège ? Ce mot fait sourire. Il y va d’autre chose que d’un art des bouquets. Chaque poème est une éclosion de sens. La poésie fait éclore dans la langue la douleur, l’amour, l’angoisse, la beauté…, elle les fait apparaître, leur prête voix, les révèle… Et plus le poème reste proche de la sensation, de l’impression, puis de l’éclosion qui lui ont donné naissance, plus il affirme sa nécessité propre. Écrire un poème, peut-être n’est-ce en définitive que cela, donner à assister au moment de la naissance, à l’éclosion même du sens, syllabe après syllabe. N’est-ce pas tout le contraire du discours qui livre le sens tout prêt ? Un poème est un organisme vivant. Il pousse sur le papier. Il anime le langage et ranime la curiosité. Il sort les mots de leur torpeur, il les réveille, il les fête.

C’est cela, la rue des fleurs. »


Intérieur
                                                          avec
                                                          aubergines
                                                          Matisse

Intérieur avec aubergines, Henri Matisse
Note du 1er novembre 2021


Vous m’avez fait chercher, Dominique Fourcade, Hadrien France-Lanord, Sophie Pailloux-Riggi, P.O.L, 2021.


par Jean-Michel Maulpoix

 

Rares sont les livres qui bouleversent nos habitudes de lecture à cause de leur « dispositif » expérimental propre. C’est le cas de Vous m’avez fait chercher, qui vient de paraître chez P.O.L, signé de Dominique Fourcade, Hadrien France-Lanord et Sophie Pailloux-Riggi : un gros volume non paginé où se mélangent textes (à typographie variable), tableaux, photographies, couvertures de livres, coupures de journaux et citations, sculptures, etc. En quatrième de couverture, trois lignes précisent que cet ouvrage spacieux : « n’est qu’un/autoportrait/ on s’y est mis à trois ». Autoportrait de qui ? De Dominique Fourcade, poète, que l’amie et l’ami ont « fait chercher » pour assembler avec lui les images du monde de son écriture, depuis Le ciel pas d’angle jusqu’à magdaléniennement. (lire la suite...)


Les 100 mots de Verlaine

Note du 1er septembre 2021

  • "Les cent mots de Paul Verlaine" (P.U.F, Que sais-je?)

Ni précis d’histoire littéraire, ni abrégé biographique, ce petit livre est un lexique qui invite à visiter l’imaginaire poétique de Paul Verlaine à travers ses motifs et ses formes. Or ce poète est déroutant par sa trompeuse simplicité : son œuvre illustre la poésie là où elle paraît la plus immédiate, mais s’avère la plus insaisissable. Ses lecteurs les plus curieux vont de surprises en désarrois. La plupart l’ont découvert en récitant sur les bancs du collège ses vers les plus fameux. L’image s’est alors installée d’un tendre auteur mélancolique et musicien donnant à entendre "les sanglots longs / Des violons/ De l'automne"... Mais voilà cette figure de poète bientôt compliquée et troublée par d’autres : un parnassien appliqué, un décadent persifleur, un provocateur libidineux, un catholique repenti, un élégiaque tout à la fois violent et bonhomme, ou, pour reprendre la juste formule de Paul Valéry, « un primitif organisé »...  (lire la suite...)

Bernard Noël
Note du 15 avril 2021
  • Bernard Noël, 1930-2021.
Je garde dans l'oreille la douceur calme de sa voix, lors même que son écriture creusait profond "la chair du noir", cherchant jusque sous la peau, là où l'on ne peut aller, le vrai du corps et de la langue


Aquarelle Jaccottet
Note du 26 février 2021
  • Philippe Jaccottet, 1925-2021
Surtout, ne croyez pas ce que l'on chuchote ici et là depuis quelques jours : un grand poète est mort! Certes, un très vieux Monsieur, Philippe Jaccottet, vient de rendre son dernier souffle, et nous en sommes très tristes, mais sa voix reste bien vivante et c'est notre cœur qu'elle fait battre.



Sourdillon
Note du 18 novembre 2020

Note de lecture sur le livre de poèmes de Jean-Marc Sourdillon, L’Unique réponse, éditions Gallimard, 2020.


Familier de la pensée de la philosophe Maria Zambrano dont il a traduit deux ouvrages, Jean-Marc Sourdillon lui a emprunté le titre de son dernier livre, L’unique réponse…
Mais quelle est donc cette « unique réponse » ? Apportée à quelles questions pressantes ?
Le lecteur s’interroge… et ce livre de poèmes ouvre devant lui son chemin de pensée et de rêverie… (lire la suite...)




mort Orphée
Note du 13 octobre 2020

A l'intention des étudiants, je mets enl ligne le PDF d'une intervention à la journée d'étude "le lyrisme en question", organisée par l'Université Paris Ouest-Nanterre le 10 octobre 2020.


Plutôt que des vues nouvelles, j'ai souhaité proposer une synthèse (partielle) de mes principales observations sur la notion de lyrisme, en les articulant autant que possible aux œuvres qui sont au programme des khâgnes cette année, (principalement celles de Du Bellay et Verlaine), en interrogeant notamment chez ces deux auteurs l’existence paradoxale d’un lyrisme « sur le mode mineur »…


(Les lecteurs me pardonneront de livrer cette « conférence » telle quelle, sans prendre le temps de la rédiger plus soigneusement).


anatomie
Note du 10 octobre 2020

  • "Anatomie du poète" aux éditions José Corti.

"De quoi est-ce fait, un poète ? De quelle conjonction étrange de chair et de mots ? Est-ce que cette sorte de créature dont certains disent avoir observé la disparition existe réellement ? N’est-ce pas là une chimère, une construction de la poésie même qui se plaît aux êtres de paille, de plume et de papier ? Pour dévider le fil de ces questions, voici déjà longtemps que je songe à esquisser une « anatomie du poète », au sens ancien du mot, tel qu’il fut utilisé en Angleterre, en 1621, par Robert Burton dans son Anatomie de la mélancolie, d’analyse méthodique, de mise à nu et en lumière. Je voudrais donc clarifier un peu ce qui entre dans la composition de cette identité singulière et sujette à caution : « poète ». En médecine, l’anatomie qui « décompose et expose » opère par dissection et suppose la mort du sujet observé. Tel n’est pas le cas de celle-ci, pourtant parfois écrite au scalpel : il n’est pas question de tuer le poète, mais de montrer quelles sortes de liens sa création entretient avec sa vivante réalité corporelle. Stimulé par les sensations, secoué par les émotions, sujet à des variations d’humeur, enclin à la mélancolie, assujetti parfois à des formes d’hystérie, le poète a un corps, cela ne fait pas de doute ! Il ne manque pas une occasion de nous le rappeler et écrit pour une grande part à partir de lui, à la différence du philosophe dont l’un des premiers soucis paraît être de s’en abstraire… Être poète, n’est-ce pas vivre selon la chair ?"

Mains de Rodin
Note du 24 mai 2020
  • Mains de Rodin

"Il y a dans l'œuvre de Rodin des mains, des mains indépendantes et petites qui, sans appartenir à aucun corps, sont vivantes. Des mains qui se dressent, irritées et mauvaises, des mains qui semblent aboyer avec leurs cinq doigts hérissés, comme les cinq gorges d'un chien d'enfer, des mains qui marchent, qui dorment, et des mains qui s'éveillent."

Rainer-Maria Rilke



ailes
Note du 11 mai 2020
    • Que fait la poésie ?

On sait que le mot « poésie » vient du grec « poiein » qui signifie faire, engendrer, travailler. La poésie est « un faire particulier » (Paul Valéry) qui porte sur le langage. Mais à y regarder de plus près (ou de plus loin), que ne fait-elle pas ? Elle fait la fête, l’amour, la bringue ; elle fait des petits, des bourgeons, des feuilles, des jaloux ; elle fait ses dents, sa toile ; elle fait le trottoir, le mur, la queue ; elle fait ses besoins ; elle fait du jus, elle fait de l’eau : elle fait un caprice, des histoires, son devoir ; elle fait fortune ou tapisserie ; elle fait bande à part, comme chez soi ; elle fait ce qu’il faut, ce qu’elle peut ; elle fait la difficile, la dégoûtée, l’idiote ou l’innocente ; elle fait des pieds et des mains, elle fait une belle jambe… elle fait et va son chemin… Elle est bonne à tout faire, car son « faire particulier » porte en vérité sur le tout de la langue, des choses du monde et de la vie humaine. Elle ne fait pas la sourde oreille. (JMM)

L'écrivain confiné
Note du 18 avril 2020
  • Confinement : Je me suis mis au vers pour garder la ligne…
Une blague ? Un simple jeu de mots ? Pas vraiment ! Le vers est un tenseur. En sa cadence, son rythme, sa scansion et son phrasé particuliers, il assure une juste tension du son et du sens : harmonieuse ou résolument discordante est sa musique, selon les cas…

Stéphane Mallarmé affirmait dans « La Musique et les lettres » : « Le vers est tout dès qu’on écrit ». Oui, jusque dans la prose, le vers est tout dès lors que l’écriture échappe au « laisser-aller en usage »... Aussi le poète est-il bien celui qui « garde la ligne », veillant à la précision du tracé des lignes d’écriture… Gardien aussi bien de la ligne d'horizon.


envols

Quelques pages critiques (parmi d'autres)...


Le Jour venu, par Jean-Michel
                                                          Maulpoix

  •  Le Jour venu, Mercure de France, février 2020


«Lorsque mon père puis ma mère disparurent, j’écrivis L’hirondelle rouge, livre dans lequel j’évoquais la fin de leur vie et cherchais à la douleur une issue. Mais la parution de cette suite de proses ne mit pas un terme au travail de deuil : j’écrivis encore, durant plusieurs mois, des pages, parfois violentes, où je devais aussi bien continuer de creuser la plaie d’angoisse ouverte par la perte de mes parents que formuler avec plus de force ce désir de vivre dont l’apparition rêvée d’une hirondelle rouge avait un temps figuré le retour…
Ainsi est né Le jour venu, d’abord affrontement direct avec l’ombre de la mort qui menace, puis accession à une sorte de paix dans la simple lumière d’un jour qui se lève. Quel est le point commun aux deux faces de ce livre, l’une obscure et l’autre lumineuse, sinon l’idée d’attachement? L’écriture, qui noue des mots ensemble, veille sur nos liens : attachement aux êtres chers et à leur mémoire, à ce monde et à sa beauté, à la terre qui nous porte comme à la langue que nous parlons et qui permet de maintenir le fil de la présence.»





nous deux
                                                          encore

—"Permettez-moi, je vous en prie, de prendre une dernière photographie… Poussez-vous un peu sur le côté, j’aimerais fixer le feuillage rouge de cet arbre et ce pan de montagne au loin, redressez légèrement la tête, tournez vers moi votre visage. La lumière du soir est si belle ! Voilà ! C’est parfait. Ne bougez plus ! Souriez…

Je ne garderai qu’une image : nous deux encore penchés sur quelque livre. J’ai six ou sept ans, elle une petite trentaine. Nos cheveux sont semblables, bruns, épais, et un peu frisés. Une bague d’argent brille à son doigt. Il semble qu’elle me fasse la lecture. Moi, je regarde ailleurs. Son visage est très jeune, très doux. Elle ne connaît pas la froideur. Elle porte une légère veste de pluie. Peut-être a-t-elle plié une couverture de laine sur ses genoux. C’est quelque part dans l’herbe et sous les arbres, en Franche-Comté, dès les premiers beaux jours, nos escapades tranquilles du dimanche que mon père se plaisait à photographier. Le genre d’image que parfois l’on trouve coincée dans la main d’un vieillard assis dans son fauteuil sous un pommier près de la haie : ses yeux viennent de se refermer."



Invitation

La voie des signes

Exposition croisée d'encres et de peintures d'Henri Michaux et de Jean-Michel Maulpoix, du 25 janvier au 22 février 2020,  à la galerie Chanlal Bamberger, 16 rue du 22 novembre à Strasbourg.

Vernissage le 25 janvier, à partir de 16h 30.

Lectures par Martin Adamiec les vendredis 31 janvier, 7 février, 14 février et 21 février, à 20 heures




Une histoire de l'élégie

Présentation:

"Qu’entendez-vous par élégie ? A cette simple question, la réponse est apportée le plus souvent sans grande hésitation : un poème plutôt plaintif, qui évoque la fuite du temps et déplore la disparition d’êtres chers. Cette définition, bien sûr, n’est pas fausse, et nombre de textes la confirment, mais elle ne rend pas compte de la variété, la souplesse, la profondeur réflexive, ni la sophistication  de ce genre dont les pages les plus nobles méditent sur le sort commun, évaluent nos raisons d’être, mesurent le prix réel des biens et des attachements terrestres, et mettent en avant des valeurs de lucidité et de courage. Il convient de le dire d’emblée : l’élégie peut être d’une richesse morale et philosophique tout opposée aux stéréotypes moqueurs qui n’y voient qu’un discours larmoyant recueillant les larmes de cœurs blessés dans des mouchoirs mouillés.

Si l’élégie a mauvaise presse et se trouve être objet de caricature, ce n’est pas seulement parce qu’elle prend volontiers la pose et reconduit à loisir les mêmes formules conventionnelles qui attirent le sarcasme. C’est aussi que ce genre délaissé par la critique n’a dans l’ensemble guère été pris au sérieux. Peu d’études générales lui ont été consacrées, attentives à ses véritables enjeux. L’un des objets de cet essai est donc de la réévaluer, au moment où, contrairement à d’autres préjugés également bien établis qui la croient disparue et vaporisée dans « l’ élégiaque », elle se montre vivante sous la plume de nombreux écrivains contemporains, fût-ce parfois au prix de surprenantes métamorphoses. Pour éclairer sa définition et son évolution, je propose ici successivement une étude thématique et formelle, une histoire et une anthologie, depuis les origines antiques de l’élégie jusqu’à nos jours."

Poésies de Valéry


La passion de la différence qui mobilise son activité intellectuelle se retrouve également dans les travaux lyriques de Valéry : s’éloigner du vulgaire, distinguer, moduler, ajuster, faire jouer les ressorts subtils de la langue avec finesse, sont des traits constants de son écriture en vers, de l’Album de vers anciens à La Jeune Parque  puis à Charmes. Encore le jeu de l’intellect devient-il plus perceptible dans les travaux poétiques à mesure que l’on avance dans l’œuvre. Il suffit de confronter Charmes à La Jeune Parque pour percevoir d’emblée la différence entre une longue modulation lyrique que l’euphonie domine, d’où tout réalisme est exclu, et un ensemble de poèmes moins obscurs, davantage centrés autour d’un sujet déterminé. Il semble aussi que l’écriture de Valéry évolue vers plus de clarté et d’élégance. Il n’est pas exagéré de dire que le poète n’a cessé de préciser son propre classicisme. Les poèmes de l’Album de vers anciens sont très marqués par le maniérisme symboliste : princesses alanguies, cygnes, clair de lune, grâces évanescentes. La préciosité adamantine de La Jeune Parque  est plus épurée, au point que l’on a parfois présenté ce poème comme le plus obscur de la littérature française. Charmes frappe plutôt par son élégance que par son obscurité : on y découvre une plénitude poétique qui reste rare dans notre langue, davantage de sobriété dans les poèmes longs; ce sont cette fois les pièces courtes qui s’avèrent les plus précieuses.


Hirondelle rougr




100 mots

Les 100 mots de la poésie

"Ce volume ne constitue ni un lexique idéal ni un dictionnaire abrégé de poétique. J'y ai simplement retenu quelques-uns des termes autour desquels s'organise mon entente de la poésie. C'est donc à travers le filtre d'un choix subjectif qu'une approche critique est ici proposée. Irréductible à une définition simple, la poésie incite à réunir autour d’elle une constellation de mots qui l'éclairent par facettes. Il y a là des verbes qui disent les gestes d'un travail (couper, lier) et d'autres qui désignent des mouvements du corps et de la pensée (se retourner, s'en aller). Il y a des substantifs qui marquent l'étendue d'un champ d'expérience (chair, terre, mémoire, désir), d'un espace préféré (paysage, jardin), ou d'objets (fenêtre, fontaine), ou d'états (fureur, mélancolie, douceur) et de formes (alexandrin, ode, fragment)… Il y a même des pronoms (je et tu) : c'est ainsi l'expérience humaine qui défile au gré de l'ordre alphabétique et déborde des livres. Peut-être est-cela même qu'il faut retenir de ce modeste lexique : la poésie est moins faite pour aboutir à un beau livre que pour nous rendre à la vie même." (lire la suite...)





matinee


 La matinée à l'anglaise, aux éditions Shichosha (Tokyo) mars 2018


Traduction en langue japonaise par Kaoru Udo d'un livre à présent épuisé qui avait été publié en 1982 aux éditions Seghers.

Extrait de la préface :

"A l’origine de ce livre, La Matinée à l’anglaise, que je me réjouis de voir paraître dans une traduction japonaise due à Kaoru Udo, il y a la rencontre à présent lointaine du roman de Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse. C’était en 1972, et j’étais alors étudiant en classes préparatoires de Lettres au lycée Henri IV, à Paris. Nous avions au programme ce volumineux roman épistolaire de Rousseau qui rencontra en son temps un grand succès. D’abord décontenancé par la longueur de ce livre, j’ai peu à peu appris à l’aimer et je fus touché par ses personnages. Dix ans plus tard, c’est le souvenir d’une scène particulière de ce livre qui m’inspira ce titre, « la matinée à l’anglaise » pour l’un de mes recueils de poèmes en prose.

Qu’est-ce que cette matinée à l’anglaise ? Un moment de calme partagé. Un temps d’intimité heureuse, presque silencieuse, qui réunit côte à côte quelques êtres. Un mode de présence donc, autant qu’un climat propice au partage… (...)"




Victor
                                                          HUgo

Victor Hugo, le lyrisme personnellement...

"Dans « Crise de vers » Stéphane Mallarmé écrit de Victor Hugo : « il était le vers personnellement». L’auteur des Contemplations fut en effet ce « géant », "à la main tenace et plus ferme toujours de forgeron" qui « rabattit toute la prose, philosophie, éloquence, histoire au vers » et qui fit de celui-ci un prodigieux lieu d’engrangement… Il ne serait pas faux d’ajouter que Victor Hugo fut aussi bien le lyrisme personnellement, tant s’attache à lui l’idée d’un volume, d’une vigueur et d’une étendue de la parole poétique qui transporte l’énergie du vers jusque dans la prose…" (lire la suite...)

Restes
Restes est le premier livre d'un jeune auteur, Quentin Biasiolo.. J'en donne ici la préface  : "L'art d'accommoder les restes"

"On pourrait croire que les poèmes en prose de Quentin Biasiolo ont été écrits par son ombre. Étrangement en alerte, une attention d'outre-tombe trouve à se dire en des phrases aussi précises qu'elliptiques. Leur vitesse d'exécution est si rapide que le lecteur se voit tout désemparé, en même temps que sollicité et séduit par cette gymnastique mentale. Il ne sait plus où donner de la pensée ni sous quel angle considérer ce qui pourtant est là, déroutant mais nettement établi, mi-figue sur la page, mi-raisin sous ses yeux... " (à suivre)

On lira des extraits d'un livre en cours de Quentin Biasiolo "Lettres à Camille" sur le site du Nouveau recueil. Né en 1991, Quentin Biasiolo est normalien, agrégé de philosophie.

Bonnefoy


Hommage à Yves Bonnefoy...

"Lire Du mouvement et de l’immobilité de Douve est une épreuve. La question du sens des poèmes est posée avec une certaine rudesse dès la première page de ce livre déroutant, voulu tel par son auteur pourtant « épris de lucidité  »… Il ne s’agit pas en effet ici d’un jeu gratuit, non plus que d’un emploi insouciant de l’écriture automatique par exemple, même si cet obscurcissement délibéré puise à l’évidence dans une certaine expérience surréaliste qui fut celle du jeune Yves Bonnefoy… (lire la suite)




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La poésie n'est pas réductible à un genre. Elle excède les catégories et met à mal les définitions, tant elle n'a de cesse de "brûler l'enclos" (René Char) et "d'aller plus avant" (Paul Celan). Les essais réunis dans ce volume s'attardent sur quelques œuvres modernes qui, à des titres divers, manifestent ces franchissements (Guillaume Apollinaire, Rainer Maria Rilke, Maurice Blanchot, Christian Dotremont...). Ils esquissent par ailleurs plusieurs portraits de poètes, en chiffonnier, en arlequin, ou en épistolier... Ils illustrent une pensée de la poésie comme parole soucieuse de la vie terrestre et qui interroge notre finitude.

carnet
                                                          chinois
J’ai découvert l’Amérique le 3 avril 1994, en prenant des notes sur un carnet à spirales de la marque « Hotlines – stationery » dans un fast food de Los Angeles où je mangeais des patates au lard et des œufs brouillés. Il était 8 heures du matin. J’étais en ma 42ème année et venais de quitter pour la première fois « l’Europe aux anciens parapets ».
Ce petit carnet à spirales de 10 cm sur 15, dont 57 pages sont remplies, contient ma découverte. Cela seul fait son prix. Jamais il ne sera publié. Je n’en livrerai ici que le souvenir. (lire la suite...)

dessine
"Je n’aime guère la poésie pour enfants. Si charmante soit-elle, elle me paraît souvent trop pressée de jouer avec les mots. Vite, elle devient comptine. Tout juste une petite fête verbale. L’occasion d’une récréation et d’une récitation, rien de plus…
Cet accès de fraîcheur, bien sûr, n’est pas sans intérêt. Il donne à respirer. Mais il tend aussi à accréditer l’idée que la poésie n’est que le côté ludique du langage…
J’aimerais que certains poèmes accessibles aux plus jeunes n’aient en vérité pas d’âge(...)" (Lire la suite)


Ashbery
"La plupart des hommes ont de la poésie une idée si vague que ce vague même de leur idée est pour eux la poésie" écrivait Valéry dans Tel Quel. Soyons clair, il n'est rien de vague dans la poésie, sinon ce à quoi elle se mesure. Sa tâche est de poursuivre afin de l'établir cette vague même qui donne son titre (A wave) au livre de John Ashbery: la vague infiniment mobile de l'instable et du trompeur... Comme l'écrit Marc Chénetier dans sa postface "l'imprécision, l'indécision, l'incertitude sont centrales dans cette oeuvre".

L'écriture prête ainsi des formes (et celle que mobilise ce livre sont très diverses) à ce qui n'est d'abord que de l'informe et du furtif, voire du grossier, du frivole, du décoratif, du routinier, de l'illusoire, du ruineux, du saugrenu, du périlleux, etc..., bref appelons cela tout simplement "matière humaine"... Et c'est en y mettant les formes que le poète dessine une trajectoire verbale parmi turbulences et indécisions. (lire la suite...)

Valery
(Texte de la communication donnée le 26 novembre 2015 au colloque "Paul Valéry aujourd'hui".)

"C'est de Valéry penseur que je souhaite tout d'abord parler, notre contemporain plus que jamais capital, et je devrais ajouter nécessaire, tant sa personne et son travail s'opposent à toute forme de fanatisme, et plus généralement d'aveuglement... En choisissant de donner ce titre "le contemporain capital" à mon intervention, je détournais au profit de Valéry une formule qu'André Rouveyre avait appliqué naguère à Gide, mais je n'imaginais pas alors la résonance nouvelle qu'elle allait prendre..."
(Lire la suite...)






Le
                                                          voyageur à son
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Parutions récentes :

"Pour un rien, je suis parti. Des chiffons de bleu dans le ciel. Retrouver le toucher d’une plume sur des pages de carnet dans une chambre inconnue ou un aéroport. Ce sont d’autres battements de cœur. Allez savoir pourquoi…

Oisiveté du voyage, peu propice à autre chose que de rapides photographies… Mais voilà que cette vie redevient étrange dès lors que lui manquent ses travaux familiers, aussi bien que les visages aimés auxquels il semble que l’on ait laissé accrochées sa propre figure et sa propre histoire."
(...)
« Mais tu l’as bien compris : c’est pour cela que je m’en vais, que je m’envole, que j’en appelle au plus lointain. Ces étoiles au sol, ces feux roses de l’aube, ces forêts, ces rivages, ces toitures : la terre, la maison des hommes. Je ne connais pas de moment plus heureux que l’atterrissage. Ces départs, après tout, n’ont pour objet que le retour. »

Photo
                                                          Maulpoix
Notes de lecture
proposées sur le site de la revue numérique "Le Nouveau recueil"
"Ce que je souhaite d'un critique littéraire - et il ne me le donne qu'assez rarement - c'est qu'il me dise à propos d'un livre, mieux que je ne pourrais le faire moi-même, d'où vient que la lecture m'en dispense un plaisir qui ne se prête à aucune substitution"

Julien Gracq








la musique inconnue

Autres publications  :

  • Par quatre chemins, études sur René Char, Saint-John Perse, Henri Michaux et Francis Ponge, éditions Presse-Pocket. Collection "Agora".
  • "L'Amérique n'existe pas". Publié uniquement en édition numérique, ce livre est disponible en téléchargement sur Kobo (Fnac), Amazon (Kindle) et sur l'E.book store d'Apple store.

        










Rainer
                                          Maria Rilke

Émissions radiophoniques, vidéos, séminaires enregistrés
















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dernière mise à jour le 29 décembre 2023