Phot
C'est
toujours le commencement, la même aventure incertaine. Le silence guette,
la page grisonne, peu de désir travaille. Le jour tarde sous un
entassement de feuilles et de fleurs de tilleul. Edredon de blancheur légère.
On s'est allongé dans l'herbe, on prend le temps de disparaître. Ecrire
est une affaire de cicatrices et de sanglots. A son
heure vient une vie curieuse. Vieillard et nouveau-né couchés l'un
contre l'autre. On se relève. On ose un pas. On se promène, pieds nus,
après l'averse. Il reste peu de souvenirs. Poitrine sèche. On a quitté
son vêtement de chair pour un lacis de nerfs qui s'effilochent. Tout ce
qui meurt nous fait litière. Le son d'une flûte, et l'obsédante blancheur feutrée. Un dimanche après-midi dans la tête, désastreux, ordinaire. Feuilles, encoignure gris-ciel, pétarades, cris et pépiements. Ni plus ni moins que d'habitude. Tache de soleil et moteur mis en route. Les objets et les mots. Ombre de l'ombre. On se regarde un peu de biais et l'on attend.
Extrait
de Un dimanche après-midi dans la tête, de Jean-Michel
Maulpoix,
Mercure de France.
Montainville, 2001
Montainville, 2001 Montainville, 2001
Dampsmesnil, 2004 Dampsmesnil, 2004
La Muse araigne (fable)
Que
fait l’araignée dans son recoin d’ombre ?
Là où toute vie s’est arrêtée, elle sécrète
les formes les plus fragiles. Poursuivant son
ouvrage de bave, elle ne bâtit pas, comme
l’oiseau, un nid de paille et de boue. Elle ne
prend pas comme lui son envol. Immobile, elle dévide,
elle ourdit sa toile. Elle convertit l’heure en
espace. Sa demeure n’est pas posée sur les
choses, mais suspendue dans l’intervalle qui les sépare.
Elle prête ainsi au vide une géométrie, une
structure, des attaches. Elle le donne à voir. Matière,
mais si impondérable, si fine que nul ne pourrait
sans la détruire la prendre dans ses mains. Rien, cette écume, vierge vers... Telle est aussi la toile d’encre du poème.
Il faut penser de tout son corps,
écrivait Stéphane Mallarmé à Eugène Lefébure
le 27 mai 1867. Tisser avec sa propre vie ces minces
rideaux que sont les phrases. Une fine toile de sens
et de sons. Solide et musicale autant que précaire.
Et devenir alors soi-même, dans l’expectative de
la chambre, pareil à cet insecte énigmatique et
obstiné. Ou
pareil à la boîte en bois du violon dont les
cordes vibrent. Un poète est un instrument à cordes. Il suspend sa petite musique dans les angles morts de cette vie.
JMM.
L'instinct de ciel,
Mercure de France, 2004
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