Autre texte sur Stéphane Mallarmé : Portrait du poète en araignée


I. Oeuvres de Mallarmé
  • Poésies, éd Bertrand Marchal, Gallimard, coll. « Poésie », 1992.
  • Igitur, Divagations, Un coup de dés, éd. Yves Bonnefoy, Gallimard, coll. « Poésie », 1976.
  • Oeuvres complètes, éd. Henri Mondor et G.Jean-Aubry, Gallimard, « Bibli. de la Pléiade », 1945. Cette édition est actuellement remplacée par une nouvelle, due à B. Marchal, dont le Tome I rassemble les textes poétiques en vers ou en prose et donne accès aux « Notes pour un Tombeau d'Anatole », aux « Notes sur le Livre », ect...).
  • Correspondance, Lettres sur la poésie, éd. de Bertrand Marchal, Préface d'Yves Bonnefoy, Gallimard, « Folio » n°2678, 1995. Il s'agit là d'un choix de lettres que reprend en partie la nouvelle Pléiade. La correspondance complète a fait l'objet d'une vaste publication aux éditions Gallimard (11 tomes) préparée par J. P. Richard, Henri Mondor et Lloyd James Austin (1959-1985).

 

Stéphane Mallarmé,

Les loisirs de la poste

ou le calendrier de la vie quotidienne

par J.M.Maulpoix

 


 

 

 

Un plaid sur les épaules, Mallarmé regarde la cheminée. Des enveloppes, des papiers froissés, lui servent à allumer son feu. En écoutant ronfler dans le tuyau l’ancien souffle lyrique, il compose des vers de circonstance: « éventails », « offrandes à divers », « dons de fruits glacés au nouvel an », « oeufs de Pâques », albums , dédicaces, autographes et envois... La Poësie, comme un peu plus tard la marquise, sort à cinq heures poster son courrier. Elle descend de son piedestal, achète des timbres et se fait mondaine. Lassée depuis longtemps déjà de ses fuites éperdues vers les ailleurs azuréens, elle prend soin du calendrier de la vie quotidienne. En direction de l’absolu, elle esquisse un geste poli: elle lui sert le thé, ou médite dans les bouffées bleues de son cigare. L’idéal, ici-bas, en 1898, est une affaire de distinction.

Parmi les Vers de circonstance de Stéphane Mallarmé, Les loisirs de la poste sont une collection de quatrains rédigés en guise d’adresses sur des enveloppe dont le format rectangulaire convenait parfaitement à ce singulier exercice. L’on sait qu’aux panoramas hugoliens, Baudelaire préférait l’infini aperçu à travers un soupirail; Mallarmé descend d’un cran: il réduit cet espace au rectangle d’une enveloppe. Ecrire une adresse lui devient jeu d’adresse. Dire où se trouve un autre, le nommer, le localiser, le portraiturer en quelques mots, c’est reconduire vers lui le geste pur de l’offrande ou du toast. Ces « riens précieux », ces rapides bouquets d’octosyllabes joueurs que sont Les Loisirs de la poste nous rappellent que la poésie est une qualité d’attention. Elle réside dans le soin que l’on prend du langage et dans l’usage étrangement gratuit que l’on en fait. Loisir, dès lors, n’est ni oisiveté ni vacance, mais  possibilité et disponibilité : au poète, il est loisible d’écrire des vers; chaque missive en contresigne la licence.

Du contenu de ces courriers, nous ne savons rien, ou presque. Seule l’enveloppe nous en importe. Puisque le sens même de notre existence nous est dérobé, seul compte le soin que nous savons prendre des plis où il se renferme. Plutôt que le discours, vaut le portrait : quatre vers y suffisent, localisant une finitude où s’inaugure une amitié. Connivence avec le destinataire, et devinette pour le facteur —cet Hermès, ce Mercure, doublure très profane du Poëte— préposé aux transitions et aux ajointements. Vif, l’octosyllabe mime une en-allée. Il enjambe et file son chemin, non sans délivrer au passage quelque biographie restreinte et accélérée. Car c’est ainsi que va la vie, de proche en proche, de loin en loin, courant les rues, les cours, les portes, les porches ou les toits de Paris qui fument. Rue de Rome, un plaid sur les épaules, Stéphane Mallarmé aime à s’adosser contre la cheminée.

 

 

Jean-Michel Maulpoix