Une averse de neige

Il neige, Place Stanislas, sur l'index gelé du vieux roi de Pologne
Il neige sur le kiosque à musique, sur les vitraux, les opalines
Du Café Excelsior, le cimetière, la garnison, le canal,
Les petits jardins, la Meurthe et la Moselle,
Les gravats, les néons et les chardons lorrains
Les Bergamottes et les Duchesses, l'immeuble de l'Est républicain
La neige tombe au milieu de tout. Sur tes yeux noirs et ton pull noir
Il neige toujours sur mon amour, quelle que soit la saison

Il neige sur ton prénom de femme,
Sur nous deux qui avons changé bien plus que de raison
Tout ce qui n'est plus tombe sur nous en averse blanche un peu froide
Mais tendre, mais légère, si prompte à fondre sur le front

A peine une sorte de brûlure, quelqu'un de très loin se rappelle à toi
Tu ne l'avais pas oublié. Il neige de la durée dans le temps qui s'en va.

Il neige : vivre ne se ressemble plus tout à fait
Quelqu'un prend soin de quelque chose
Et la vie s'abrite en dedans : elle dort un peu, elle se souvient
Est-ce le temps qui chute en averse, se montre, se dépose
Ou la croyance qui innocente? Ou l'amour qui secoue les ailes?
Il neige comme jamais il ne pleut
Afin que seul demeure cela qui nous importe
Tout le reste enfoui : même la mort est une idée fausse
Nous ne sommes plus pris dans les glaces
Sommeil d'amour serait plus juste, comme se laisser aller à croire,
Ton épaule: cette neige, ce désir d'y poser la tête.

Il neige de l'Un en vrac; les flocons sont de tailles diverses
Il neige des solitudes en foule, éphémères et têtues
Et c'est pourquoi j'insiste : blanc sur noir, noir sur blanc
Une averse de neige est mon point d'équilibre
Moi-flocon, Toi-vêture, toi la tiédeur même de ce froid
Ajouté sans cesse à ce froid, de durer, de mourir
Je l'écoute, cette neige, et toi tu t'y endors.

Il neige, juste de voix, en gare de Bar-le-Duc. Le train qui s'en retourne secoue les buissons blancs, salue les arrière-cours, les baraques de planches et les plants de choux (qu'on pourrait dire en robes de mariées engourdies)...

Tu te demandes vers quel amour tu t'en retournes. La magie s'interrompt au-delà de Châlons : juste un vague sucre sur les toits.

J.-M.Maulpoix, (2 décembre 1996)