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Esther Tellermann, 

Une odeur humaine,

Volume publié aux éd. Farrago / Léo Scheer, 172 p.  

 

 

par Patrick Née, Professeur à l'Université de Poitiers

Essai critique extrait du volume "Études sur le temps lyrique" publié sous la direction de Jean-Michel Maulpoix dans la collection RITM, à l'Université Paris X - Nanterre


 

Après six livres de poésie chez Flammarion, Esther Tellermann publie un récit, Une odeur humaine, composé de trente-sept courts chapitres (non numérotés) tissant un long ruban textuel aussi envoûtant qu’exigeant du point de vue du lecteur. Son appartenance générique le soustrait d’emblée aux proses majoritaires (écritures du moi, essais, récits plus ou moins linéaires fondés sur une diégèse immédiatement identifiable) ; c’est très clairement à la famille restreinte des récits poétiques qu’il s’agrège ; mais encore faut-il s’entendre sur l’acception d’un tel genre. Dans la tradition des récits de Blanchot ou de Beckett, on y reconnaîtra d’emblée la perturbation des instances énonciatives, l’apparente discontinuité de la narration, l’entrelacs entre situations et commentaires, l’implication énigmatique de l’auteur dans un « je » lyrique jamais immédiatement référentiel, mais jamais non plus coupé d’une expérience à la fois autobiographique et émotionnelle, selon un « engagement » véritable du sujet de l’écriture dans son dire. Le lecteur doit faire son deuil des habituels points de repères narratifs qui baliseraient son avancée dans le texte, l’autoriseraient à cette lecture en « conduite automatique » qui lui fait dévorer tant de fictions, pour passer le temps.

Se rappelle-t-on que la première publication de l’auteur s’intitulait Première apparition avec épaisseur ? Et quoique non immédiatement repérable, c’est par cette préoccupation d’ordre onto-psychique que le lecteur pourrait entrer dans son univers. « (A)u lieu  de ne pas te permettre d’apparaître », déclare l’énonciatrice à propos de l’objet de son énonciation, le fait de « sépar(er) le son d’avec le sens » susciterait un « soulèvement » du langage au moment même de la profération du nom lui-même (p.22) ; mais en revanche, « Détournez les yeux, je ne veux pas apparaître », ordonne-t-elle pour son propre compte (p.58). La même n’avait-elle pas, toutefois, déjà souligné « la splendeur élégiaque (…) de moi-même enfin visible où je suis ma propre épiphanie (…) » (p.35) ? Une scène du miroir, où « l’on se déshabille devant la glace », permettra – par l’intermédiaire de la buée qu’y dépose la respiration – que « l’image » s’y « dérobe (…) en un halo de brume qui rappelle le premier amour » (p.64) (et c’est ce halo qui fait effet de présence dans l’image) ; l’échange amoureux consistant, à son tour, en un corps donné dans l’espoir d’en faire « le lieu d’un combat pour ne pas disparaître » (p.104).

On s’explique du même coup que la scène autobiographique, pour autant qu’elle affleure à divers moments, se préoccupe essentiellement de ces rapports d’existence entre le sujet et son image, comme entre le sujet et ses objets. A l’incipit du livre, où l’on annonce qu’« il est impossible de percer certains secrets », une femme se promène « sur les boulevards de boutique en boutique pour vérifier son image qui dispar(aît) de façon naturelle » : la solution de continuité des miroirs parisiens ne saurait assurer au cours de sa promenade un permanent reflet à la promeneuse, attestant que son être-image n’est donc pas constamment « vérifiable » (p.5). Or cette lacune phénoménologique dans la perception de soi par reflet interposé pourrait bien révéler – comme pour Peter Schlemil la perte de son ombre – un douloureux doute ontologique qu’aurait tragiquement creusé l’Histoire récente – celle de la Shoah. « Rien n’est vérifiable, beaucoup le disent, c’est une simple erreur de l’Histoire, c’est une odeur de gaz » ; et du même coup le grand motif de l’odeur – comme manifestant  la présence de l’humain dans la plénitude de son incarnation – qu’on retrouvera en conclusion de cette lecture, s’en trouve affecté de son plus violent coefficient de néantisation. L’évocation du père (« il meurt, c’est ton père, il s’effondre », p.8), puis de l’émigration des parents (« ils venaient de l’Est, (…), établissaient les premières liaisons transversales avec la peur »), comme la représentation de la diaspora juive (toutefois ironisée, topique : « Ils crucifient, c’est la peur, ils accumulent les banques, c’est la peur, la plupart prennent des routes latérales (…), demain nous serons au bord de la mer (…) », p.8-9), dressent la toile de fond sur laquelle s’enlève la question centrale du sujet – elle-même visiblement héritée de la Nadja de Breton, lançant son appel à l’exemple de l’aviatrice perdue au large de l’Ile du sable : « M’entendez-vous ? » (p.53) ; ou cette autre question, véritable leitmotiv bretonien, orchestrant ici toute une page : « Qui suis-je ? » (p.59). Avec ce constat d’insupportable solipsisme : « J’étais livré à moi-même comme toujours au centre d’un incendie » (p.124) ; « nous pensons avoir fait place à une lucidité nouvelle quand nous ne faisons que barrer le chemin prolongé en dehors de soi » (p.146). Et à l’opposé, cet espoir d’un « point culminant de notre expérience où nous pourrions parvenir à un entretien » (p.123), c’est-à-dire consommer l’échange ou le dialogue, selon lequel « deux êtres malgré leur scission momentanée tendent toujours à se réunir et peuvent atteindre à l’architecture d’un drame lyrique à force d’intensité et de pénétration » (p.129).

De ce point de vue, on comprend le sens décisif qu’acquiert la permanente instabilité des personnes d’énonciation, qui constitue sans doute la part la plus spectaculaire – et non la moins déconcertante pour le lecteur – de la tension de l’écriture. Cette tension joue essentiellement entre deux pôles, l’un féminin, l’autre masculin, engagés dans une guerre amoureuse aux innombrables renversements. Dans un certain nombre de cas, la présence d’un vocatif sexué permet de confirmer le genre de l’énonciateur s’adressant à une interlocutrice quasi générique (« Mais moi seul, Madame, moi seul peut parer à votre effondrement », p.15). Mais on se gardera d’identifier trop vite un dispositif symétrique dans le cas, non moins récurrent, où au « Madame » s’est substitué un allocutif  « docteur » ; car il ne s’agit pas toujours – loin s’en faut – de l’adresse réciproque d’une femme à une instance masculine (ainsi, « Je n’ai plus confiance, docteur, je suis surpris », p.26) ; et qui pourra affirmer qu’à coup sûr tous les énonciateurs interpellant « Madame » sont bien de sexe masculin ? L’auto-adresse d’une énonciatrice féminine n’est pas, à différentes reprises, moins vraisemblable, sans qu’aucune marque de genre permette d’en décider. Il faut donc se résoudre à admettre une extrême labilité des instances sexuées : à l’instar de l’identité des « je » et des « tu », qui peuvent aussi bien renvoyer à deux instances affrontées qu’aux deux versants d’une même instance – d’ailleurs moins divisée, ou en lutte avec elle-même, que provisoirement défusionnée selon une double version d’elle-même. On en voudra pour preuve l’identique discours tenu tour à tour par l’instance masculine (« j’ouvrais toutes ses lettres, j’aurais voulu partager ses pensées », p.30), puis féminine (« je l’ai toujours aimé il est à l’intérieur de moi mais ça reste circulaire, je lis dans ses pensées, je lis toutes ses lettres », p.34) : sous couleur du fameux Je est un autre de Rimbaud (« surtout si on se prend pour un autre », p.35), ce sont les diverses déclinaisons de la fusion psychique qui se donnent à lire – avec leurs implications allant jusqu’à la possibilité du délire, en particulier raciste, de la part de l’instance masculine agressivement retournée contre le pôle féminin (« c’est écrit dans les livres les juifs qui empêchent… (…) C’est les Juifs, ces manières déficientes, ces figures obscurcies (…), Paris n’est pas une brousse », p.31).

Traces de sadisme ou de masochisme intrapsychiques, plus que preuves constituées d’une relation duelle de sujet à sujet, ces éclats de voix s’investissent dans diverses directions également agonistiques. La plus prégnante, sans doute, investit le double registre de la grande lyrique amoureuse, tour à tour dévolue aux deux instances sexuées : « Mon aimée, je suis à toi, il me sied de chanter ton nom » (p.33) – « je suis poète, je dresse à ton nom ô aimé un monument aussi pur qu’une séparation éternelle » (p.37). Mais c’est pour l’inverser aussitôt d’une double façon. L’élan sublimant peut vite basculer dans le champ clos de la violence pulsionnelle. Si le nom chanté se confond avec « celui de la Déesse » (où passe le souvenir de Nerval), le culte consenti à cette Magna Mater n’est pas de tout repos ; de la même façon qu’« elle frappe, j’ai bien le droit de tuer, on me tue » (p.37). Et c’est en réalité à une Artémis-Hécate funèbre que l’on a affaire – et non pas à la grande Isis nervalienne de l’Origine retrouvée, pacificatrice de toutes les tensions (fût-ce au prix de la mort, regressio ad uterum). La scène d’Actéon surprenant Diane au bain ne cesse alors de rôder dans sa double violence prédatrice (« On se recroqueville traqué par les chiens », p.91) : Osiris lui-même n’en est que le masque inversé – lui qui, au lieu de mettre à découvert chez la déesse la différence des sexes (et d’en être puni du sparagmos, cette hyperbole de la castration), est « venu combler le trou noir de l’aube », comme un agent phallique réassurant la grande déesse dans sa prérogative d’être celle de « l’âge d’or d’un seul sexe » (p.37). En règle générale, les « illuminations païennes » invoquées le sont au titre d’une violence phallique et fétichisante : comme en des sortes de Lupercales inversées, il s’agit de « brûler des lieux vierges et perdus », de « frapper des testicules », comme de « poser un mot-tueur » (p.100). Ainsi l’appel au « Sublime », maintes fois réitéré au fil des pages, se voit-il dénoncé comme le leurre hyper idéaliste recouvrant le fantasme régressif des origines : une vulgaire « coercition immaculée du quotidien » – lequel n’est en réalité, Actéon jeté aux chiens, que « bave, fatigue, perte de poids, vertige » (p.37), déclinant tous les troubles liés à la guerre des sexes. L’autre déconstruction de l’amour idéal s’énonce frontalement : « n’importe quel geste éclabousse le rêve de l’amour, tant mieux, ce n’est qu’une flaque sale, je suis debout, je ne sais rien d’elle (…) » (p.57, redoublé p.58).

Une scène érotique d’une grande intensité se déploie en effet tout au long du livre, articulée autour de la lutte entre la défense hystérique (féminine ?) et l’assaut exploratoire (masculin ?). Mais c’est pour croiser aussitôt les positions : « L’hystérie aussi est une offensive, une demande sans condition : soyez tout pour moi » (p.29) – et c’est un énonciateur masculin qui le dit, rêvant aussitôt, selon le bovarysme de l’Ailleurs romantique que décrivait déjà un Jules de Gaultier à son ami Segalen, à « des horizons comme une offrande » (idem). Certes on reconnaîtra le vœu viril d’obséder la femme (« je voulais la garder infiniment sous moi dans une chambre d’hôtel », p.100) qui déclenche en elle l’angoisse classique de perte de ce que Monique Schneider réfère au Heim, le chez soi de la cavité psychique interne menacée d’invasion (« Elle étouffe, (…) la tête est enveloppée d’un sac plastique », p.101). Réciproquement, on notera le Noli me tangere d’une défense qu’on pourrait dire féminine : « L’essentiel est de rester hors d’atteinte, d’éviter l’attouchement » (p.33) ; « moi malade non non, c’est externe la défloration » (p.35). D’où la complexité des nombreuses représentations d’actes amoureux (p.54, 59, 64, 69, 71, 73, 75, etc.), en une mimésis compliquée d’agressions, de jeux de miroir, de cannibalisme psychique – ou de pertes et retrouvailles dans la jouissance comme une nage en eaux profondes.

La question centrale qui dès lors est posée tout au long de l’œuvre est celle d’un langage capable de prendre en charge l’expression du drame du désir humain. « (J)e t’avais cherché dans l’insouciance, suspendu à ta préoccupation comme à une matière dernière, tu disais ne pas te reconnaître dans la langue que je t’adressais mais il y a à l’intérieur de chaque langue une marge réduite où nous ne sommes pas mais où nous pouvons ne pas être étranglés » (p.112) ; ce dernier verbe étant d’autant plus significatif qu’à bien des reprises l’énonciation érotico-lyrique s’est brisée non sur un j’étouffe mais sur son contraire, « j’étrangle » (par exemple p.31). Car « Voyez, la langue n’a aucune force propre, c’est le langage qui lui donne sa force » (p.19) ; et cette force, quoiqu’en mode de prose de « récit », est celle-là même de la poésie. Certes on trouve une dénégation de cet ordre – mais inscrite significativement entre guillemets (et donc ironisée) : « je ne suis pas poète, c’est trop facile de montrer le verbe inhumain dans l’éclat de l’enfance. Non, non, je ne sais rien du vide ni des oasis (…) » (p.22) ; mais la métaphorisation même de l’énoncé suffit à prouver le contraire – qui constituera un leitmotiv exotique parfaitement envoûtant, qu’on envisagera dans peu. Car il s’agit avant tout d’une énonciation lyrique, celle de cette sorte de discours dégagé par Käte Hamburger dans sa Logique des genres littéraires. Au jeu complexe des superpositions de voix tissant la sorte de moire énonciative que l’on vient d’évoquer, s’ajoutent les très nombreux emprunts textuels, fragments remotivés du discours quotidien – allant jusqu’aux familiarités syntaxiques cassant la lyrique d’ensemble (p.16, 26, 40, 55-56, 104), à quoi on pourrait adjoindre la perturbation introduite par des suppressions récurrentes de la ponctuation (renvoyant à Apollinaire ?).

Pour couronner le tout, le jeu fréquent des allusions intertextuelles ne cesse de renvoyer à la plus grande tradition lyrique. Voici d’une part cette voie royale de la lyrique amoureuse, à maintes reprises invoquée (mention a déjà été faite de Nerval, p.33 et 91), où « Béatrice, Viola, Laura » – Dante, le Shakespeare de La Nuit des rois et Pétrarque – permettent l’hypothèse d’une « théologie négative » de l’amour, attestant l’inscription de sa divinité dans l’en creux de son retrait et la seule profération de son nom « sans référent biographique » (p.89). A quoi il faut adjoindre la « Gloria » chantée par Christian Dotremont  (p.54), ou la cueilleuse de mimosa du « Congé au vent » de René Char, qui surgit dans la page auréolée de son « sillage », comme « la vibration d’une nourriture odorante, (…) du rythme d’une hanche » (p.150), réapparue en écho « comme une fille au détour d’un chemin, tournant le dos à la terre » (p.162), là où Char notait « la rencontre extrêmement odorante d’une fille » qui « s’en va, le dos tourné au soleil couchant », et à laquelle on doit « céder le pas du chemin » ; ou enfin la référence insistante à Pierre Jean Jouve : à sa « "matière céleste" (p.38 et 79), à ses « années profondes » (p.38), ou à son « monde désert » (p.59). Mais d’autre part un vaste courant intertextuel emporte bien des pages du côté de l’urgence métaphysique de Baudelaire (de sa « charogne », p.49, ou de ses « Aveugles » : « oui que veut dire être libres de lever les yeux vides d’une étincelle aveugle ? », p.27), et de celle de Segalen peut-être (avec son « expérience du réel », p.81), mais surtout de ce sur quoi elle débouche – l’exploration de l’Ailleurs selon Rimbaud : celui du « Bateau ivre », avec la « descente fiévreuse des fleuves » (p.86), le « débouch(é) par l’estuaire » d’un « voyage incompréhensible » (p.117), l’« échapp(ée) à tout courant » qui fait « sentir le flux d’odeurs autres » (p.119), et, au croisement des épopées de Conrad, la « remont(ée) dans la trouée de la forêt impénétrable au milieu des larges eaux que recouvre le désordre des îles », avec au bout l’espoir d’un « chenal qui couperait court à notre désir de nous perdre » (p.124).

C’est sans doute en ce point que tous les fils de l’œuvre ont chance de se nouer aux yeux du lecteur. Car si « (u)n grand voyage est souvent la forme indirecte de l’amour » (p.150), réciproquement « un amour n’est qu’un temps visité par une zone laissée en blanc » (p.161) – celle qu’admiraient déjà « les enfants amoureux de cartes et d’estampes » du « Voyage » baudelairien, alors même que – précisément dans toutes ces « zones laissées en blanc » des terrae incognitae du désir (p.43) – « nous remplissons l’enfance de lacs et de noms » (p.140). L’entêtant motif du fleuve thématise la pulsion amoureuse, d’abord en une dénégation (il n’est « pas le Rhin le Gange », p.14), puis métaphoriquement comme « un passage ouvert sur le Nil, le Gange, sur l’Indus, oui l’Indus et le Rhin qui ajoutent à l’emphase » (p.24) ; il faut « rev(oir) Thèbes aux lueurs subsistantes » (p.42), et que s’élève alors cette prière de régénérescence fluviale : « apportez-moi l’eau du Nil, du Gange, l’énigme du Nil supérieur » (p.53). Le duo amoureux, en tant qu’il recherche « une prise sur l’irréel de (son) étreinte », peut espérer « ainsi sa(voir) d’où viennent les fleuves » (p.155) : accéder à l’amont de toutes les sources, ou à celles mythiques du Nil, ce serait trouver aussi bien le point de coïncidence érotique de soi avec l’autre, que de soi avec l’origine de son désir. On ne peut que renvoyer ici au portrait de l’amant en voyageur (p.46, 49), dont les infinies variations assurent à l’ensemble le caractère d’une partition musicale post-wagnérienne (« ainsi/comme le voyageur (…) », p.70, 75, 79, etc.) ; analogie centrale elle-même prolongée par d’autres, celle du nageur (« Ainsi le nageur perd-il la notion de tout contour si ce n’est de la lumière qui frise l’écume », p.73) ou du plongeur (« Comme le plongeur nage en eau profonde sans savoir qu’il invente d’autres passages (…) », p.86). Par glissement métonymique, l’ensemble du paysage exploré peut enfin métaphoriser le corps caressé de l’amant (p.160, 167), donnant à entendre que le modèle de la marche structure à fois la progression dans le fantasme et dans la page d’écriture (comme il est particulièrement clair p.81).

Pourquoi, pour conclure, « Une odeur humaine », à la fois titre et mot de la fin (p.172) ?  « (O)deur de la première rencontre » qui revient à la mémoire (p.149), expression de soi donnée pour semblable à une « étreinte » (p.72), manifestation du corps comme « habillé d’un tourbillon d’odeurs » (p.67) – on songe à la primauté de l’olfactif éclatant chez Baudelaire, triomphant chez Proust : au lieu d’ « ensevel(ir) l’odeur humaine » (p.57), c’est à sa remontée hors de la censure et du refoulement que travaille un tel récit, qui à l’instar de son personnage « marche » et « ne lutte plus contre l’odeur de l’homme » (p.43). On y verra le désir d’incarnation d’une poétique capable de s’imaginer, à l’exemple de la fantasmatique de ses amants, « installé(e) définitivement dans l’être comme dans l’éternité » (p.94) – mais qui n’ignore pas que « la conversion, la grâce » ne peuvent qu’être en rapport d’équivalence avec l’expérience bouleversante – comme un flacon débouché – de « la finitude logique du vivant » (p.110).

                                                                                                                                                 Patrick Née

Professeur à l’Université de Poitiers