Avant-propos
Ce volume ne constitue ni un lexique idéal
ni un dictionnaire abrégé de poétique. J'y ai simplement retenu
quelques-uns des termes autour desquels s'organise mon entente de la
poésie. C'est donc à travers le filtre d'un choix subjectif qu'une
approche critique est ici proposée. Irréductible à une définition
simple, la poésie incite à réunir autour d’elle une constellation de
mots qui l'éclairent par facettes. Il y a là des verbes qui disent les
gestes d'un travail (couper, lier) et d'autres qui désignent des
mouvements du corps et de la pensée (se retourner, s'en aller). Il y a
des substantifs qui marquent l'étendue d'un champ d'expérience (chair,
terre, mémoire, désir), d'un espace préféré (paysage, jardin), ou
d'objets (fenêtre, fontaine), ou d'états (fureur, mélancolie, douceur)
et de formes (alexandrin, ode, fragment)… Il y a même des pronoms (je
et tu) : c'est ainsi l'expérience humaine qui défile au gré de l'ordre
alphabétique et déborde des livres. Peut-être est-cela même qu'il faut
retenir de ce modeste lexique : la poésie est moins faite pour aboutir
à un beau livre que pour nous rendre à la vie même.
Deux siècles après que s'est éteinte la visée messianique d'un
romantisme volontiers donneur de leçons, la question de la fonction
puis de l'enjeu et de la valeur de la poésie demeure. Si l'édification
des hommes n'est pas son but, non plus que la projection d'un monde
nouveau, il lui incombe toujours de cadastrer le séjour humain : le
parcourir et l'arpenter, en mesurer l'étendue et en tracer le
périmètre, en dénombrer attentivement les composantes et en placer les
bornes à leur juste place... Attentivement penchée sur la langue, la
poésie prend soin de la forme du monde et de l'état de la pensée. Une
fois quitté cet « âge des poètes » que fut le romantisme, la position
du poète n'est plus surplombante et il devient cet « homme des foules »
que considérait déjà Baudelaire : ni mage, ni prophète, immergé dans
son temps, souffrant en lui, douloureusement affecté par toutes les
grimaces de la face humaine.
Jean-Michel Maulpoix
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