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Le poète et le peintre

Philippe Jaccottet est poète. Il est né à Moudon en Suisse en 1925. Après des études de lettres à Lausanne, il a vécu quelques années à Paris, comme collaborateur des éditions Mermot. Lors de son mariage en 1953, il s'est installé à Grignan dans la Drôme. Il a publié de très nombreuses traductions notamment d'Homère, Gongora, Hölderlin, Leopardi, Rilke, Musil et Ungaretti.

Quelques livres de Philippe Jaccottet : l'Effraie et autres poésies, Paysages avec figures absentes (proses), Pensées sous les nuages (poèmes), Ecrits pour papier journal. Il faut signaler aussi la série de ses carnets publiés sous le titre de la Semaison. La plupart de ses œuvres ont été publiées chez Gallimard. On peut notamment trouver trois recueils dans la collection Poésie/Gallimard. Il a également publié quelques textes chez de petits éditeurs comme La Dogana ou Fata Morgana.

Giorgio Morandi est peintre. Italien, il est né à Bologne en 1880. Il est mort en 1964. Il a passé quasiment toute sa vie dans cette ville de Bologne. Il est resté à l'écart des principaux mouvements actifs lors de ses débuts, principalement le futurisme et la peinture de Chirico. Certains considèrent qu'il aurait opéré une sorte de synthèse entre Giotto et Cézanne. Il est surtout connu pour ses natures mortes, mettant en scène dans un contexte très dépouillé, toujours les mêmes objets, une suite de carafes et de boîtes.


    JACCOTTET ET MORANDI

    Par Florence Trocmé


    Philippe Jaccottet a publié à la Dogana un court essai intitulé Le Bol du Pèlerin (Morandi) dans lequel il tente de comprendre et d'explorer la fascination exercée sur lui par l'œuvre de ce peintre.
    Il précise d'emblée qu'il aborde ces toiles de Morandi, un peu comme il approche un pré, un paysage, qui sont des thèmes récurrents dans sa poésie. Il rend compte avec une extraordinaire honnêteté de l'extrême difficulté qu'il y a à dire ce que suscitent en lui ces natures mortes. On sent l'auteur tâtonner autour de l'œuvre, incapable d'analyse, sidéré en quelque sorte par ce qui émane de ces assemblages répétitifs d'objets si simples. "Dans l'œuvre de ce peintre [...] une émotion, puis un étonnement quant à cette émotion même, très proches de ce qu'ont pu m'inspirer dans le monde naturel, un verger, une prairie, un versant de montagne, à partir de quoi j'ai cherché plus ou moins laborieusement les mots pour m'y retrouver. Parce que, dans l'une et les autres rencontres, je butais naïvement sur une énigme : pourquoi, comment, ces rencontres vous touchent-elles à ce point ? "

    Une des premières grandeurs de Jaccottet, c'est de ne pas s'essayer à forcer cette énigme en lui appliquant les lourds instruments de l'analyse universitaire. Pas d'élucubrations savantes ici sur la composition, le travail des pigments ou de la touche, aucune investigation sur la technique. En revanche une approche infiniment respectueuse et comme éblouie de ce qui se présente là et des échos que les peintures suscitent en lui. Pas de bistouri, de scalpel ou de microscope intrusif, mais une suite d'éclairages, un peu comme des faisceaux de lumière de nature différente avec lesquelles on tenterait de faire surgir quelque chose de la vérité. Jaccottet procède en effet beaucoup par associations, se mettant en silence devant la toile et laissant advenir en lui images, souvenirs, impressions. Qu'il tente ensuite, avec une infinie modestie mais aussi une très grande subtilité, de décrypter, cherchant "des mots assez transparents pour ne pas l'offusquer". Jaccottet travaille avec ses mots exactement comme Morandi avec ses pigments ! Procédé magique qui enrichit la perception que l'on peut avoir de cette œuvre picturale si singulière. Sans dévoiler le secret, ou altérer l'énigme, centrale et irréductible sans doute : "Car énigme il y a. Qui me requiert à proportion qu'elle me résiste, comme celle des fleurs du cognassier ou celle de l'herbe des prairies". Une technique qui n'est pas sans évoquer celle du haïku (dont Jaccottet a proposé des transcriptions chez Fata Morgana) ou certains aspects de la philosophie zen.

    Autre intuition de Jaccottet : il se garde bien de nous raconter la vie de Morandi. Il se trouve au demeurant qu'il n'y a presque rien à raconter, mais que c'est précisément dans ce presque rien que réside l'essentiel et que c'est naturellement sur cet aspect-là que le poète s'attarde. Morandi a vécu la plupart du temps complètement retiré, une vie "presque aussi immobile, silencieuse, réglée, répétitive que celle d'un moine". Le poète ne se contente pas de balayer l'œuvre du faisceau de ses intuitions ou réminiscences personnelles. Il l'éclaire de quelques rapprochements pertinents, comparant la "concentration héroïque" du peintre à celle de Giacometti ou s'interrogeant sur les auteurs de chevet, ô combien significatifs, de Morandi, à savoir Leopardi et Pascal. "il est impossible qu'un choix aussi résolu n'aide pas à le mieux comprendre". Mais là encore la proposition de Jaccottet est singulière : il ne tente pas d'utiliser Pascal ou Leopardi pour expliquer Morandi. Il les cite simplement, comme une légende ou un titre aux tableaux. Ce ne sera pas au sens logique du lecteur mais à son intuition d'opérer les rapprochements.

    Il y a quelque chose d'infiniment émouvant à voir ce poète de l'insaisissable, de l'indicible qu'est Jaccottet se heurter à l'œuvre de Morandi. Il croit échouer dans sa tentative de l'éclairer : "je me retrouve aussi loin du compte, après toutes ces remarques, que lorsque, ayant achevé d'écrire à propos d'un pré, je revois le vrai pré ; tellement plus simple que tout ce que j'ai pu en dire, et plus secret ! Mais sans doute est-ce beaucoup mieux ainsi, et tout à l'avantage de ce pré, ou de ces peintures, l'un et les autres peu enclins à laisser personne parler à leur place".

    On peut se demander s'il n'a pas inventé en réalité la seule façon de parler de cette peinture. En tout état de cause, échec il ne peut y avoir, car il donne à voir cette œuvre dans son extrême singularité et il rend son mystère tangible mieux que ne saurait le faire aucun traité savant. A ne rien réussir à expliquer, il la rend encore plus fascinante, "comme si la pure raison était trop courte pour approcher la vérité".

    Note

    Exposition : à Paris, se tient jusqu'au 6 janvier 2002 au Musée d'art Moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson (tel. 01 53 67 40 00), une exposition consacrée à quatre- vingt dessins et peintures de Morandi et essentiellement axée sur les natures mortes des années 1950 et 1960.
    Références du livre : Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, environ 29,73 ¤ (195 F). ISNB : 2-940055-33-5