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Hélène Dorion

 

Née au Québec, Hélène Dorion a publié plus d’une vingtaine de livres au Québec, en France et en Belgique, parmi lesquels Ravir : les lieux (Paris, Éditions de La Différence, 2005) qui lui a valu le prix de poésie de l’Académie Mallarmé, un essai, Sous l’arche du temps (Montréal, Leméac, 2003 et La Différence, 2005), ainsi que Jours de sable (Leméac, 2002, La Différence, 2003), récit pour lequel elle a reçu le prix Anne-Hébert. Une anthologie de ses poèmes, intitulée D’argile et de souffle et préparée par Pierre Nepveu, a paru dans la collection de poche typo.

 

Son œuvre, traduite et publiée dans une douzaine de pays, lui a mérité plusieurs prix littéraires décernés au Québec et à l’étranger, dont le prix Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec, le prix Aliénor, le prix International de Poésie Wallonie-Bruxelles et le prix du Festival International de Poésie de Roumanie.

 

Hélène Dorion est aussi l’auteure d’une quinzaine de livres d’artistes, et elle a collaboré à de nombreux ouvrages collectifs et à des anthologies. Elle a fait partie de comités de rédaction de nombreuses revues, a dirigé des numéros de revues étrangères consacrés à la poésie québécoise, et a collaboré, à titre de critique, à diverses publications. Elle a aussi préparé deux anthologies de poètes québécois. De 1991 à 2000, elle a été directrice littéraire des Éditions du Noroît et a réalisé une série d’enregistrements audio de poésie et musique.

Hélène Dorion est membre des jurys permanents des prix francophones de poésie Léopold-Senghor et Louise-Labé, et elle fait partie de l’Académie Mondiale de Poésie.


 

 

 

Hélène Dorion

 

ravir : les lieux

(extraits)

 


 

 

D’ici bouge la lumière. Regarde

le vide lourd sur l’épaule

éparpillé parmi les fenêtres.

 

Cherche ce que tu appelles, l’impossible

mosaïque silencieuse du voyage

et la lampe qu’on dirait brûlée

par le temps. Regarde seulement la pièce

où résonne ta vie. L’ombre jamais vue

visible maintenant, dans les yeux du soir.

 


 

 

Entre toutes terres, le centre, la maison

plus au centre, le jardin : sillons

que tu racles, bêche de l’âme

tirant vers toi le soleil

les eaux de pluies sur les pétales

à peine apparus. Au cœur de ce monde

la chair noircie du nom, théâtre des choses

que tu livres aux vents. Quel oiseau naît

de l’oiseau blessé ? Tu refais ta demeure

chaque jour, on imagine le sol

sous la main, l’arbre haut des saisons

le ciel planté dans la fenêtre, le geste superbe.

 

 


 

 

Ici l’escalier d’où monte

et redescend l’histoire, en ce détail

que tu incarnes. Des mots poussés

derrière le silence. Peu importe

l’espace qui te laisse à toi-même

 

– et flotte entre ces murs, le craquement des objets –

tu vois la fenêtre, là remue le monde

un vent d’aube, et les notes du piano

lentement tournoient.

 

Tu poses le pied, c’est la mer

qui te dénoue. Tu oublies presque la plaie

la pierre gisante, sur le fil de la mémoire.

Depuis des années, tu regardes les branches

comme des racines, qui s’approchent enfin.

 


 

 

Écoute, comme une ombre

s’avancerait, la mer, l’inlassable

vol des vagues qui claquent

contre la terre, écoute

 

ce monde devenu monde, à force

de résonner parmi les ans. Ton enfance

est cette matière fossile, un vœu

du temps qui brûle à mesure.

 

Écoute, et l’oiseau fuira encore

brisant tes châteaux sur le sable

 

de cette côte de l’Atlantique

où tu vis s’en aller l’aube

et revenir par tant de marées.

 


 

 

Le balcon vacille, on se bouscule

pour la première ligne, le dernier mot

le jour d’avant, le jour d’après.

 

On met la main dans la poche du vent

on en tire de maigres flocons

qui flottent comme des corps

et bientôt s’écrasent

 

contre les arbres pourris, l’hiver glacial

la terre sèche, les murs incendiés des bâtiments

les mâts où pendent des voiles que l’on déchire

et traînent les drapeaux décolorés

le banc où l’on passe le temps, les trottoirs

où l’on perd son visage

les rues où il se fait si tard

les compteurs désormais expirés.

 

 


 

 

Passé les dunes, la pente abrupte

mène vers la mer. La perspective se modifie

légèrement, les nuages et les galets

se fondent, le vent s’éparpille sur la peau

 

et si l’on porte à l’oreille un coquillage

on entend murmurer chaque souvenir

laissé là, enfoui sous les marées.

 

Alors le Derviche, avec l’écume, avec le sable

pénètre la mesure

– l’univers, le rien –

souffle comme il danse :

secoue les draps de l’âme.

 

 


 

 

Le monde dévore nos paupières

au-delà des rêves, de la rose

que mâche la nuit, nous vivons

comme des feuilles enroulées

autour de l’horizon, nous flottons

et pour guérir de nous-mêmes

 

– quand éclatent les fissures

que se perdent les pierres

jetées parmi les lambeaux des siècles –

 

nous glissons avec les continents

cherchons l’eau, cherchons le rivage

et un jour l’image se retourne

le Gardien des Lieux, à nouveau

se penche sur nous.

 

 

 

 

© Éditions de La Différence, Paris, 2005