| Accueil | Le Blog | SommaireBiographie | Bibliographie | Pages lyriquesManuscrits  | Galerie | Traductions
| Anthologie contemporaine  | Pages critiques sur la poésie modernePages critiques sur la prose | Cours et séminaires |

| Le Nouveau Recueil | De l'époque... | Informations | Rechercher | Liens | E.mail   |

 

Henri Thomas

par Antony Dufraisse

 

Henri Thomas, Les heures lentes. Entretiens avec Alain Veinstein (Arléa).

 

Ce que je sais d’Henri Thomas, qui ne le sait ? Un mot de Jean Grosjean suffirait d’ailleurs à rafraîchir les mémoires. Henri Thomas n’était ni plus ni moins qu’un chercheur de vérité. Dans ses romans cadencés par les rêves, dans ses carnets qui ne sont pas sans rappeler les Papiers collés de Georges Perros, il traquait la vérité, il la talonnait de près. L’introduction d’Alain Veinstein à son tour le confirme : toujours sur le qui-vive, Henri Thomas. Une vraie sentinelle, donnant de sa peine pour, envers et contre tout, avoir un œil sur la vérité.

Dix ans tout juste avant qu’il ne disparaisse, A. Veinstein, alors maître de cérémonie d’une émission littéraire radiophonique, est allé recueillir, magnétophone en main, la parole de l’auteur du Promontoire. C’était en 1983 – ce livre en est la fidèle transcription. « Face à moi, se souvient-il en ouverture, il y a un homme qui parle, pas un beau parleur ». On imagine facilement la voix d’Henri Thomas ; ainsi d’une vague, elle se déroule, elle glisse ou se fracasse ; elle s’enroule ou s’étale pour aussitôt se retirer. Point d’éloquence artificieuse ici mais seulement le naturel d’une voix authentique. En fait, dès les premiers instants, Henri Thomas déroute son interlocuteur. D’esquives en déviations, un étrange jeu du chat et de la souris s’installe entre les deux hommes. Car si A. Veinstein sait laisser parler son invité, ne pas l’accabler de questions oiseuses, s’attardant tout au contraire sur celles qui font le commun des écrivains, l’invité sait, lui, contourner l’obstacle de tout ce qui génère du désespoir : « J’ai horreur des gens qui sèment le désespoir, je trouve qu’ils feraient mieux de la fermer ! » De son côté Veinstein s’amuse de cette stratégie naturelle d’évitement : avec Henri Thomas, il faut s’en remettre à l’imprévisible. Ne lit-on pas d’ailleurs dans Le Migrateur que « la vie n’est pas un système de questions et de réponses bien ajustées » ? Dans l’existence rien n’est en ordre. Alors il faut savoir s’abandonner au désordre de la vie ; il faut savoir dériver, dévier des chemins tout tracés. Résultat, on perd Henri Thomas dans le Londres des années 50, pour le retrouver dans les Vosges, bien des années auparavant, au tournant de la petite enfance. Il était immergé dans le monde de Jules Verne ? Le voilà qui maintenant se promène en compagnie d’Artaud. Décidément Henri Thomas sème dans le labyrinthe de Mnémosyne ses poursuivants les plus acharnés. Et si, sa vie durant, il a pisté en solitaire la vérité, il se plaît aussi, mieux que quiconque, à brouiller les pistes.

Rêveusement callé dans ses souvenirs, Henri Thomas, l’air de rien, orchestre un carrousel féerique entre ombres et lumières, divagations et réalités, confidences et colères douces-amères. Ces entretiens laissent donc voir ici un homme fidèle à lui-même dans sa mélancolie assumée. Car il y a en lui, à peine perceptible, l’écho d’une mélancolie qui, comme la mer qu’il aimait tant, ne cesse jamais d’aller et de venir.

                                                                                                          Anthony Dufraisse