"La Matinée à l'anglaise"

Editions Seghers, 1982

Extrait de "Terrain vague"

(Notes liminaires d'un chapitre sur le lyrisme)


Lyrisme...

D'abord ligne de fuite, la mer prenant son large, joie de mourir ainsi à soi, de se répandre. Là-bas, les merveilleux nuages emportent une provision de ciels. Mêler nos corps à cet inachevable, nos doigts, nos chevelures, et quantité d'autres fragilités désirables...

Quand l'âme est à marée basse, nous ne recueillons sur la plage lessivée que les embruns salés des vagues et ce butin maigre de coquilles, d'algues, de crevettes et de crabes que le profond silence des mers avec parcimonie nous octroie.

Il en est du lyrisme comme d'un terrain vague: espace indéfini sans borne, où échouent toutes sortes d'objets étranges: écorchures du monde, ferrailles et vieilles carcasses, sans valeur ni signification. Lieu sauvage, inquiétant et cependant familier, où se recompose, aux antipodes du musée ou de l'église la communauté la plus élémentaire. Dans ce bric-à-brac d'images au rebut, le frêle myosotis a fleuri...

En cet endroit, l'on vaque. Le lyrisme, dans l'homme, est quelque chose comme le principe d'une errance.

Mettre la pensée à l'épreuve du terrain vague signifie qu'on se laisse conduire, appeler, repeupler. Il ne s'agit pas de manier des concepts, mais de répondre à un afflux d'images sidérantes. Ainsi, dans l'utopie et l'absence, s'affirme la présence. Le lyrisme impose d'abord à la disponibilité de chacun une épreuve.

Un chemin existe, nos pas l'inventent. Cette ligne apparaît soudain, s'efface, se redessine, dure à peine le temps de la promenade. Il revient à notre endurance, autant qu'à notre érnerveillement, d'arpenter et d'accroître ce domaine. Plus nous marchons, plus il existe.