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La poésie française dans les années 1950 : "Habiter" : présentation de la génération de poètes à laquelle appartient Philippe Jaccottet


Liens  vers d'autres pages consacrées à Philippe Jaccottet

(sites extérieurs)

 

Patience de Philippe Jaccottet

(Portrait du poète tardif)


 Extrait d'un essai de J.M.Maulpoix paru dans Le poète perplexe, publié aux éditions J. Corti en 2002)


Au commencement est l’ignorance. Par là s’ouvre la poésie. Par là aussi elle s’achèvera. Encore ne s’agit-il pas ici d’une ignorance naïve, à la manière de celle dont Rilke fait état dans les premières pages des Cahiers de Malte Laurids Brigge : ignorance d’un jeune homme qui prétendrait écrire des vers, à peine tombé du nid, pas encore lesté d’expérience. Il ne s’agit pas non plus de l’innocence, et Philippe Jaccottet lui-même y insiste : « nous ne sommes plus en un temps où l’on puisse feindre l’innocence : le savoir est là, plus envahissant que jamais. ».

Il s’agit d’une ignorance positive en laquelle la poésie trouve sa raison d’être, et qui n’est autre que l’inaptitude fondamentale de la créature à connaître la mort, l’absolu, l’au-delà, l’infini, tout ce que fédère maladroitement le mot d’impossible, quelle que puisse être par ailleurs l’étendue du savoir ou de l’expérience acquise...

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Cette ignorance induit une nécessaire humilité et dessine, pour commencer, la figure d’un poète soucieux de prendre une juste mesure de ce qu’il est et de ce qu’il peut accomplir réellement, sans tricherie, avec rigueur et probité, dans le langage :  désireux de dire la précarité de l’homme « qui avance dans la poussière », il « n’a que son souffle pour tout bien, pour toute force qu’un langage peu certain ».

Ainsi va s’ébaucher une première figure éthique du « poète tardif », dont les traits les plus remarquables sont l’effacement, la discrétion, le retrait, le désir de justesse. Philippe Jaccottet ira jusqu’à formuler ce vœu : « l’effacement soit ma façon de resplendir » A considérer les textes de près, il apparaît en effet que sa propre figure de poète y est le plus souvent à peine dessinée et qu’elle tend même à s’y résoudre en l’attention d’un simple regard posé sur le paysage, ou dans la présence d’une voix qui s’interroge tout haut sur elle-même et ce qu’elle peut dire:

Qui chante là quand toute voix se tait ? Qui chante

avec cette voix sourde et pure un si beau chant ? 

On peut entendre ici comme un écho à l’interrogation liminaire de La Jeune Parque (« Qui pleure là, sinon le vent simple... ») : un avatar de ce mouvement anxieux qui contraint la poésie moderne à se retourner sur elle-même... Mais là où Paul Valéry dramatisait l’éveil d’une figure mythique aux accents raciniens, cette voix assourdie qui interroge le silence fait à présent valoir la beauté de son propre effacement, ou la pureté de sa solitude, puisqu’elle seule subsiste après que toutes les autres se sont tues. La voix du poète tardif fait figure de dernière voix, tel un chant résiduel. Elle constitue moins l’acte de présence d’un sujet que le signe de son consentement à la disparition. Si elle maintient quelque chose de ce qui fut naguère le chant, c’est précisément en exprimant son effacement.

Cette voix paradoxale suppose une écoute plutôt qu’un parler, l’insistance d’une série de questions plutôt que le développement lyrique d’une célébration. Le poète est ici celui qui interroge la subsistance d’une voix pure parmi la disparition des voix. Si sa figure se trouve maintenue, c’est moins pour entonner son propre cantique que pour interroger en direction d’une parole que son cœur perçoit mais dont il ignore en quelle bouche elle s’articule : en direction, pourrait-on dire, d’une voix sans sujet.

Interrogeant ainsi, cet ignorant cherche en vérité à savoir ce qui le maintient en vie:

 Que reste-t-il à ce mourant

qui l’empêche si bien de mourir ? Quelle force

le fait encore parler entre ses quatre murs ? 

Le poète tardif considère avec perplexité la double énigme de l’existence et du poème. Il se montre attentif à l’incongruité de l’existence dans et à travers le poème. Si l’existence humaine est absurde, pourquoi la poésie subsiste-t-elle ? N’est-ce pas comme une insistante réponse à cette absurdité même ?

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 (P.S : Les contraintes des droits d'auteur empêchent que cette étude soit ici présentée in-extenso. On en trouvera le texte intégral dans le volume de J.-M.Maulpoix intitulé Le poète perplexe, publié aux éditions J. Corti en 2002)