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La poésie française dans les années 1950 : "Habiter" : présentation de la génération de poètes à laquelle appartient Philippe Jaccottet


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Eléments d'un cours sur l'oeuvre poétique de

Philippe Jaccottet

par Jean-Michel Maulpoix - Université Paris X-Nanterre - 2003-2004

(Observation à propos de la mise en ligne de ces notes de cours)


La poétique de Philippe Jaccottet

(Notes et proposition de plan pour une leçon)

 

· Entendre ici le mot « poétique » au sens large : il ne s’agira pas seulement d’examiner les procédés ou les techniques qui entrent en jeu dans l’écriture des poèmes de Philippe Jaccottet, mais d’interroger plus globalement, à travers son « faire » (son poiein)  la cohérence ou la cohésion de son œuvre, autant dire son projet, les choix auxquels il donne lieu, et la façon dont il s’accomplit.

· C’est donc aussi bien se demander : qu’est-ce que le poétique pour P.Jaccottet ? Comment caractériser son approche et sa mise en œuvre ?

· Je m’intéresserai donc successivement au travail du poème, marqué par la recherche d’un équilibre entre contrainte et liberté ainsi que par le privilège accordé aux valeurs de souffle et de mesure, puis au parti-pris du peu, de l’atténuation et de la restriction, avant de conclure sur la dimension éthique de ces choix.

· Il n’y a pas de prétention à un discours sur l’Être dans l’œuvre de PJ :

« Être est plus lointain que l’extrémité du ciel, plus inconnu que l’inconnu. »

® poète qui « baisse le ton », qui ne cesse d’en rabattre, à l’instar de la plupart des modernes (« Il faut en rabattre » écrit Mallarmé dans « Etalages », texte de la section de Divagations intitulée « Quant au livre ».), et qui pourtant maintient, ne fût-ce qu’en sourdine, une fonction du poète, un devoir de poésie…

® Rabattu, l’envol. Ravalé, le cœur. Et “ rendu au sol ” le poète, plus que jamais boiteux dans l’ici-bas… Et néanmoins… Formule-clef de la poétique de PJ.

 ***

I. Respiration du poème...

Définition du poème comme lieu de respiration, aire de souffle :

« Le souffle pousse, monte, s’épanouit, disparaît ; il nous anime et nous échappe ; nous essayons de le saisir sans l’étouffer. Nous inventons à cet effet un langage où se combinent la rigueur et le vague, où la mesure n’empêche pas le mouvement de se poursuivre, mais le montre, donc ne le laisse pas entièrement se perdre. » (La Semaison, mars 1960).

® cette citation fait apparaître ce qui constitue sans doute le cœur de la poétique de Jaccottet, à savoir la recherche de points d’équilibre entre les contraires.

® Observer dans cette première partie, le privilège chez PJ d’une écriture du souffle (qui n’est pas la parole soufflée du haut lyrisme) dont la musique serait le modèle et qui se tient au plus près de la voix et de la respiration, c’est-à-dire de l’existence même

1.1 Le travail du poème

Ne pas se leurrer sur l’apparence « simple » de nombre de poèmes de Philippe Jaccottet. L’écriture est pour lui le lieu du labeur le plus rigoureux et le plus exigeant.

® S’il avoue écrire par inspirations, émotions, il se présente en même temps comme un tenant du classicisme : "pour le poète d'aujourd'hui, la création doit être une longue patience". La poésie, affirme-t-il, est "un domaine où le plus grand scrupule est de rigueur". Une fois de plus, la traduction est son modèle… Elle suppose une attention au moindre mot, à la moindre nuance. Respect dans sa propre parole de la parole d’autrui…

Contraintes et libertés

· A la fois écriture poétique très libre et lien conservé avec un héritage classique

® usage de formes traditionnelles comme le sonnet, mais irrégulier dans la disposition des rimes. PJ Adopte et adapte un legs.

® usage de vers réguliers et de vers libres

· travaille à assouplir l’alexandrin. Fait progressivement de plus en plus de place au vers libre

® L’effraie est largement dominé par l’alexandrin. Dans l’Ignorant, il reste majoritaire, mais se trouve en concurrence avec le vers de 14 syllabes.

® par la suite, les types de vers sont extrêmement divers (alexandrins, octosyllabes, décasyllabes et autres…) et souvent se mélangent dans un même texte : c’est l’unité de souffle qui prédomine, la recherche d’une « mesure » liée à ce que Jaccottet appelle dans Éléments d’un songe son « oreille intérieure ».

· Joue sur la frontière prose/poésie, en  adoptant souvent des moules traditionnels pour les assouplir, pour "prosaïser" (hiatus, incertitudes rythmiques, assonances approximatives au lieu de rimes...). Parole simple et tâtonnante.

Poème discours et poème instant

Voué au "poème discours", Jaccottet a le désir du "poème instant" :

« Sans doute le poème en vers longs et réguliers suppose-t-il un souffle assez ample et paisible, un équilibre que j’ai perdu, ou que je ne connais plus continûment, naturellement. Solennisation des choses, des instants, accord, harmonie, bonheur. Mais comment passer de certaines notes poétiques au poème ? La voix retombe trop vite. Il y a une difficulté intéressante dans l’opposition entre le poème-instant (celui de l’Alegria d’Ungaretti) et le poème-discours qui a toujours été le mien, tel un bref récit légèrement solennel, psalmodié à deux doigts au-dessus de la terre. » (La Semaison, p. 47)

® Difficulté de retrouver l’ancien souffle lyrique : « la voix retombe trop vite ». On ne peut pas porter longtemps le poème

® caractérisation du « poème discours » tel que PJ le pratique : récit bref + solennité relative + chant d’en bas.

Entre conversation et éloquence

« Je croyais avoir acquis, avec les derniers poèmes de L’Ignorant, comment dire ? un ton, un rythme, un accent, une façon de maintenir le discours à mi-hauteur entre la conversation et l’éloquence » (Note III de La promenade sous les arbres)

® prééminence de la voix, de la parole. Poésie comme travail de la voix dans l’écriture.

1.2 L'air et le souffle

Titre "airs" (1961-1964) : à la fois hauteurs, souffles, chansons et manières d'être (rappelons que ce même titre ouvre l'oeuvre de Du Bouchet).

Le modèle musical

Plus que la peinture, le modèle ou la référence majeure de la poésie de Jaccotet pourrait être la musique (pièces dédiées à Purcell)

Dans une note de Janvier 1959 de la Semaison, il confie son "rêve d'écrire un poème qui serait aussi cristallin et aussi vivant qu'une oeuvre musicale, enchantement pur, mais non froid, regret de n'être pas musicien, de n'avoir ni leur science, ni leur liberté. Une musique de paroles communes, rehaussée peut-être ici et là d'une appogiature, d'un trille limpide, un pur et tranquille délice pour le coeur, avec juste ce qu'il faut de mélanvcolie, à cause de la fragilité de tout. De plus en plus je m'assure qu'il n'est pas de plus beau don à faire, si on en a les moyens, que cette musique-là, déchirante non par ce qu'elle exprime, mais par sa beauté seule".

L’aire de souffle

Modèle dans les souffles, d'une parole aérienne et passagère : "Parole-passage, ouverture laissée au souffle. Aussi aimons-nous les vallées, les fleuves, les chemins, l'air. Ils nous donnent une indication sur le souffle. Rien n'est achevé. Il faut faire sentir cette exaltation, et que le monde n'est que la forme passagère du souffle." (La Semaison, p.35).

Le poème serait dès lors quelque chose comme une aire de souffle (cette parole- paysage et cette parole-passage dont je parlais plus haut) : "Aire choisie, délimitée par le vent, site d'obélisques semés par le souffle d'un Passant invisible, tout de suite et toujours ailleurs" (Paysages avec figures absentes, p.16).

Dans La promenade sous les arbres : "(...) Mais qu'est-ce que l'air? Ah! sûrement, j'adopterai un jour un langage plus vif et plus chantant pour m'y élever comme l'alouette et le conquérir dans l'allégresse de la poésie! On ne résiste pas à ces trouées!"

® un modèle : le haiku

TS 312 : "illuminer d'infini des moments quelconques"

les auteurs qui ont pratiqué ce genre ont été des "passants invisibles" (TS 314).

acuité du "très peu" (TS 316)

 

1.3 Le maintien du Chant

Définit les conditions d’un maintien du chant, les conditions d’un chant légitime, tout en ayant parfaitement conscience de « la fin de l’hymne », de longue date déjà énoncée par Hölderlin ou Mallarmé.

® Cf Chant d’en bas, p. 45

Entre parler et chanter

P.Jaccottet établit peu à peu son écriture entre critique et apologie du langage, entre un « parler est facile » (p. 41) et un « parler est difficile »

® Mathieu parle d’une « oscillation de la diction entre parler et chanter » (p. 417)

® travaille à rapprocher le parler et le chanter : élaborer un chant proche de la voix familière, mais également porter la parole jusqu’à l’irrésistible évidence du chant (cf P. 45)

· En même temps que la manifestation d’une présence, le chant est appel à son dépassement. Il dit toujours beaucoup plus que ce qu’il dit. Il transporte avec lui, par-delà tout processus signifiant, un surcroît d’indétermination. Il est un langage emporté par la musique au-delà de la signification. Une impalpabilité discursive. Un langage débordé, débordant, dans lequel le langage même semble faire face à l’indicible et se mesurer à lui. Le chant accomplit donc la voix en se portant au-delà du sens. Selon Rilke, “le chant est existence”, “Un souffle autour de rien. Un vol en dieu. Un vent”.  (Sonnets à Orphée, éd. Aubier, p. 147).

® Jaccottet reprendra à son compte ces formules en affirmant « Chanter, c’est être » (Carnets 1995-1998, p. 122).

 

La chercherie

· Fréquence du verbe « chercher » chez PJ. Cf p 50 et 58

® recherche d’une fidélité à l’insaisissable (50)

® chercherie orientée vers ce qui est hors de portée (p. 58). Elle se connaît vaine.

· Poésie moderne est interrogative. Elle cherche plus qu’elle ne chante. Elle est moins inspirée que questionneuse.

®                    Michaux : « approcher le problème d’être ».

®                    Question du « Qui suis-je », « Où suis-je ? », "Quand sommes-nous" ?

®                    Beck : « le poème est le lieu d’élaboration progressive d’une vérité quant à l’époque ».

· La poésie est un espace de chercherie (Baudelaire). On y cherche du sens (le sens s’y trouve mis en difficulté, en cause, en suspens…). C’est un tissage de/dans la perplexité. La poésie, par la précision de ses tours, entrouvre un peu la langue sur notre ignorance. C’est un chant d’ignorance.

· Poète, celui qui nous rappelle que n’est pas maîtrisé ce monde que nous croyions connu. Celui qui nous rouvre (en sa profondeur) cet espace que nous croyions fermé. Celui qui nous invite à nous remettre en chemin. Celui qui nous enjoint d’exister, tout simplement.

· Valeur critique de la chercherie.

Nietzsche : « L’œuvre d’art ne jaillit pas tant du miracle d’une imagination créatrice que de la puissance de jugement, qui choisit, ordonne et trie les éléments dont cette œuvre est formée. »

Le chant d’en bas

Le chant au plus près de la finitude (Cf les notes relatives au volume portant ce titre).

® chant qui n’efface pas la rugosité de l’existence et de notre rapport au réel. Chant qui ne craint pas d’être rauque et rocailleux. C’est le chant de celui qui questionne. De celui qui reste en bas. De celui qui ignore. Un chant « rétif aux griseries de l’imagination, s’admonestant, tenant la bride courte à l’exaltation, contrecarrant son penchant au mélodieux » (JC.Mathieu).

® Recherche du chant et résistance au chant.

***

2. Une poétique restreinte

Le peu : seul socle autorisé de la parole. Cette parole fait signe vers le silence. Elle accueille l’écho de ce qui ne s’énonce qu’aux frontières de la langue

2.1 Images et figures absentes ?

La méfiance à l’endroit des images

· "Les enfants en inventent, à un certain âge, tous les jours; les surréalistes en ont inondé la poésie moderne. Pour peu qu'on cède à cette pente, il se produit un foisonnement de relations plus ou moins bizarres entre les choses qui peut, à bon marché, faire croire que l'on a découvert les secrètes structures du monde, alors qu'on a simplement tiré le maximum d'effets de l'imprécision d'une expression"

· "Méfie-toi des images. Méfie-toi des fleurs. Légères comme les paroles. Peut-on jamais savoir si elles mentent, égarent, ou si elles grisent?"

® par souci de ce qu’Yves Bonnefoy appelle « la vérité de parole », PJ s’interdit de céder au charme des images. Sa poésie n’est pourtant pas dépourvue d’images.

"les ornements sont tombés, rien ne reste que les formes essentielles" (Semaison, 17)

Le réel pris en compte

· Dans La Seconde semaison (p. 106), PJ cite ce mot de Clément Rosset : « plus le sentiment du réel est intense, moins il est compréhensible. »

· Attention de PJ aux détails et aux signes que paraît parfois adresser le monde : il est celui qui avance à travers l’épaisseur du visible. Cela se vérifie particulièrement dans ses proses.

· « La parole qui cherche à échapper à ce monde ou à le dépasser s’égare et s’altère, en trahissant à la fois le monde où elle aurait dû continuer à jouer puisqu’il est son domaine, et l’Absolu où elle ne peut que s’éteindre. » (La promenade sous les arbres).

· Renvoyé sans cesse vers l’exister par l’impossibilité à s’établir par les signes comme à demeure dans le sens et dans la beauté, voire à atteindre un centre. On n’habite pas dans le poème. On y transite. On y fait face.

® poésie qui ne congédie pas le réel mais l’affronte avec lucidité.

2.2 Note et fragmentation

Le poème et la note

· Cf  Semaison : "Notes pour des poèmes » = notes en vue de poèmes, notes préparatoires, amorces, frêles appuis.

® ces notes sont aussi bien des modalités de l’interrogation : des arrêts sur objets, pensées, choses vues et choses lues, événements ou circonstances. Ce sont des notes de lecture au sens propre.

® semis ou semaison, elles ont une valeur vitale, germinative.

· Traduction de l'immédiat. Capter des sensations, des rencontres. L'immédiat déjoue les doutes de l'esprit. Il prend de vitesse l'angoisse

Difficulté cependant, reconnue, par Jaccottet, à "passer de certaines notes poétiques au poème" car "la voix retombe trop vite".

La beauté en miettes

· Attacher PJ à la question du fragment, du motif insistant des débris et des éclats, voire de la pulvérisation de la beauté (et donc du chant) ® observations à reprendre sur le sort moderne de la beauté, mise en pièces par l’obus rimbaldien (Char) mais subsistant en archipel, fragmentairement = poussières ayant valeur d’astres, poussières aphoristiques porteuses de sens et d’éclat.

® En ce commun rapport au fragmentaire, Char et PJ se rapprochent, mais il est bien évident que leurs poétiques divergent autant que leurs tempéraments. Leurs écritures respectives sont d’espèces différentes, l’une plus familière de l’aphorisme et l’autre du haïku, l’une offensante-offensive, l’autre défensive-dissuasive. La parole de PJ est davantage de sauvegarde que de combat, ce qui fait perdurer dans son écriture une tonalité nostalgique ou un mode mineur là où Char vitupère et prophétise sur le mode majeur… Différence à l’évidence perceptible dans le retrait, chez l’un, de cette métaphore qui est le noyau dur et fulminant de la poétique de l’autre.

® Cf sur débris le livre de Ferrage, p. 15.

· Semaison, p. 56 : « Beauté : perdue comme une graine livrée aux vents, aux orages, ne faisant nul bruit, souvent perdue, toujours détruite ; mais elle persiste à fleurir, au hasard. »

Discontinuité et continuité

· À la fois discontinuité des notes, voire hétérogénéité du texte fragmentaire (cf Semaison) et continuité de la réflexion, de la lecture : travail d'herméneute incertain qui avance dans l'incertitude = développement d'un "chant d'en bas.

® Jaccottet privilégie l’épars, ou plutôt le reconnaît. Mais face à l’épars et au fragmentaire, il y a obstination, réitération, creusement interrogatif.

® La continuité me paraît assurée par le travail de l’œil et de la conscience davantage que par les effets d’harmonie ou de mélodie propres aux poèmes. C’est d’abord la continuité d’une recherche. Une assiduité.

2.3 Poésie et incertitude

® Atténue le lyrisme, valorise l’entrouverture et développe une rhétorique de l’incertitude.

La poésie atténuée

® PJ pratique une poésie du presque

Incises, points de suspension viennent réduire le chant, contrarier le développement

· Yannick Mercoyrol : « L’expérience demeure toujours dans une relative obscurité, parce qu’elle appréhende quelque chose qui se donne et se refuse dans le même geste, imposant dès lors une certaine distance afin d’en saisir l’apparition, et faisant de cette poésie, nécessairement, une poésie du presque, c’est-à-dire de l’écart ténu entre visible et invisible qui demeure fermé sur l’énigme de son essence. »

L’entrouverture

· Char : « Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert ». Deleuze : « Le devenir est toujours entre ou parmi ».

· Le haiku serait pour PJ un modèle d’entrouverture : "Le poème idéal doit se faire oublier au profit d'autre chose qui, toutefois, ne saurait se manifester qu'à travers lui" (nrf n°279) ® il y a entrevision, « apparence de soupirail » (Dupin)

· une poétique des illuminations brèves, des saisissements furtifs ® une ponctuation d’instants, mais en mineur toujours (rien à voir avec les illuminations rimbaldiennes).

® la puissance de l’émotion se mesure à l’aune de la fugacité.

· PJ oppose au poids du pire, du malheur et du fatal ce qu’il appelle dans Après beaucoup d’années (p. 95) « l’autre regard », dans lequel « on voit, on aura vu inopinément, à la dérobée, « autre chose ». Cet autre chose se situe au croisement du dehors et de l’intime. Il est vu « en quelque sorte de l’intérieur de nous-mêmes, bien que vu au-dehors ».

® cet « autre chose », c’est ce que Mallarmé déjà assignait à la poésie :

« Autre chose.. ce semble que l’épars frémissement d’une page ne veuille sinon surseoir ou palpite d’impatience, à la possibilité d’autre chose. » (« La musique et les lettres », Divagations, p. 356)

· récuse toute conception matérialiste sans pour autant verser dans l’idéalisme ou dans la métaphysique. ® reste sur le bord.

Ecrire l’incertitude

· « A la source, une incertitude » : autre formule décisive de P.J.

® Observer comment l’écriture de PJ épouse dans sa forme même le mouvement de l’incertitude, jusqu’à mettre en œuvre ce que l’on pourrait appeler une poétique de l’incertitude

® parenthèses, interrogations, recours aux propos rapportés, tournures hypothétiques

® quantité de lignes méandreuses où le poème se conteste lui-même, assume des approximations et des incorrections

® se développe ainsi un mouvement de recherche, de creusement, dont le texte définitif conserve la marque

· On peut parler à ce propos d’une rhétorique de l’incertain, avec prétéritions et palinodies

® écriture instable où les incorrections mêmes sont gages d’authenticité

® le paradoxe, l’antithèse, l’oxymore y ont leur place : « C’est le plus sombre dans la nuit qui est clarté » (L’Ignorant, p. 83)

 ***

3. De la poétique à la « poéthique »

 

· Idée que le poème ne vaut rien s’il ne constitue pas une expérience

· Conjuguer Jaccottet poète et Jaccottet moraliste : poète qui examine, suspecte, interroge, cherche à déterminer une juste conduite

® Nombre de phrases ont valeur de maxime : « L ‘effacement soit ma façon de resplendir »

® pourtant( pas de « leçon » administrée sentencieusement

3.1 La parole juste

Refus de la tricherie (TS 334)-

= la poésie ne saurait être ni un luxe, ni un ornement, ni un mensonge, ni un jeu, plutôt un art de faire vibrer le moindre mot.

® refus de se payer de mots

= Comme Bonnefoy un anti-Platon : contre celui qui accuse le poète de manipuler à sa guise la figure des choses.

= souci de la vie juste autant que de la voix juste

 

Prononcer juste

="ne rien expliquer, mais prononcer juste" = c'est aussi un chanter et un articuler juste

= c'est aussi juste prononcer, se contenter d'articuler :

« Je passe, je m’étonne, et ne peux en dire plus » (Pensées sous les nuages, p. 122)

® c’est rentre justice et ne pas jouer faux.

Jaccottet Eumolpos

cf dans la revue Faire part, ce texte de Jaccottet :

"On rencontre fréquemment, dans les inscriptions et les textes égyptiens, l'épithète "juste de voix" accolée au nom d'un défunt; elle signifie que ses déclarations ont été reconnues exactes devant le tribunal de l'autre monde. Cet épithète a en grec un équivalent exact : Eumolpos . Mais qui était Eumolpos? Le premier hiérophante, le premier prêtre des mystères, l'ancêtre de la famille sacerdotale des Eumolpides. En effet, "quiconque n'a pas une voix intelligible" doit renoncer définitivement à l'espoir d'être prêtre : les paroles sacrées, mal récitées, perdraient de leur efficacité. Tout ce qui est dit dans les mystères, qui sont initiation de l'âme à la mort, le doit être d'une voix juste" (Faire part, p.47)

= le poème (obole au passeur) aussi est "initiation de l'âme à la mort", et c'est pourquoi il doit parler d'une voix juste. Sa principale qualité, selon Jaccottet, doit être sa justesse de ton : "il m'a semblé parfois (...) que ma plus vraie vie, ma seule vraie vie, n'était faite que des moments pour lesquels j'avais cru trouver une expression un peu juste; comme si devenir poésie, si peu que ce fût, leur conférait plus de réalité, ou, plus précisément encore, les révélait, les fixait, les accomplissait." La parole ajoute-t-il, semble ajouter à ces moments "une valeur, et une espèce de privilège". Elle constitue dans le temps éperdu de l'existence une sorte de halte.

 

3.2 Parole adressée, parole échangée

Importance de la prise de parole : figures de l’appel et de l’intimation. Il reste dans la poétique de PJ quelque chose de « l’écho sonore » hugolien, en sa version évidemment affaiblie.

L’appel et l’écoute

Le poète est à la fois celui qui appelle et celui qui répercute des appels de voix. Cf par exemple le poème « La voix » (Poésie, p. 60)

Celui qui entend importe plus que celui qui parle.

CF aussi Pensées sous les nuages, p. 123.

L’intimation

Mise en demeure : expression d’une urgence intérieure. D’un devoir être.

® autant Jaccottet récuse le retour(nement) élégiaque tel qu’il voit le poète pleurer sur le passé et sur lui-même, autant son écriture poétique conduit-elle le sujet lyrique à se prendre lui-même à partie, se fixer des tâches, s’adresser des injonctions, ou engager la communauté humaine tout entière dans une commune chercherie (cf Chants d’en bas, p. 58)

Les mots d’autrui

S’interdisant tout développement métaphysique, Jaccottet préfère s’abriter derrière les mots d’autrui

® ce sont d’abord des mots de tous les jours

® ce sont des paroles échangées entre des passants

® c’est un recours à des effets de citation nombreux, des jeux de paroles rapportées. Un lyrisme mis entre guillemets, quand ce n’est pas entre parenthèses.

3.3 Une poétique du lien maintenu

PJ refuse que la poésie soit une affaire esthétique ou une affaire religieuse, mais son travail de poète consiste bien à relier et à relire

® s’il refuse toute transcendance, il arpente pourtant sans cesse le chemin qui y conduit. Il refuse de s’en tenir à l’expression des coupures, des séparations et des débris.

® le poète continue de rapprocher la limite et l’illimité, le proche et le Tout autre…

La limite et le mystère

· Est confronté au mystère « en déchiffrant le langage du monde » (Mircea Eliade)

· Page capitale de La Semaison :

"C'est le Tout-autre que l'on cherche à saisir. Comment expliquer qu'on le cherche et ne le trouve pas, mais qu'on le cherche encore? L'illimité est le souffle qui nous anime. L'obscur est un souffle; Dieu est un souffle. On ne peut s'en emparer. La poésie est la parole que ce souffle alimente et porte, d'où son pouvoir sur nous.

Toute l'activité poétique se voue à concilier, ou du moins à rapprocher, la limite et l'illimité, le clair et l'obscur, le souffle et la forme. C'est pourquoi le poème nous ramène à notre centre, à notre souci central, à une question métaphysique. Le souffle pousse, monte, s'épanouit, disparaît ; il nous anime et nous échappe; nous essayons de le saisir sans l'étouffer. Nous inventons à cet effet un langage où se combinent la rigueur et le vague, où la mesure n'empêche pas le mouvement de se poursuivre, mais le montre, donc ne le laisse pas entièrement se perdre.

Il se peut que la beauté naisse quand la limite et l'illimité deviennent visibles en même temps, c'est-à-dire quand on voit des formes tout en devinant qu'elles ne disent pas tout, qu'elles ne sont pas réduites à elles-mêmes, qu'elles laissent à l'insaisissable sa part."

L’ignorance et le savoir

Quelque chose de religieux ( ?) dans le rapport entre ignorance et savoir qui se trouvent singulièrement liés l’un à l’autre

® savoir d’une espèce singulière : « c’est quand l’intelligible est absorbé par le sensible que la merveille rayonne vraiment inépuisable (TS 254)

® dilution relative de la raison dans l’expérience

 ***

Conclusion

 

· Poésie comme travail de l’inexpliqué ou des moments inexplicables : « Poésie nourrissonne et servante des énigmes » (Promenade sous les arbres, 93)

· Quelque chose d’un Sisyphe et d’un stoïcien en PJ évoluant sur une ligne de crête entre sens et non-sens, et se voyant sans cesse menacé d’effondrement, de renoncement, à la façon du vieux maître de l’Obscurité : celui qui avait enseigné la valeur incomparable des signes a chuté dans le nihilisme et accuse le langage de n’être que mensonge.

® Jaccottet paraît avoir logé en lui ce vieux maître comme un essentiel contradicteur auquel il s’agit d’apporter la réplique.

® son écriture oscillatoire et endeuillée va par chutes et relèvements successifs dans les recueils au programme. Elle trace des lignes méandreuses où le poète ne cesse de faire retour sur ce qui a été dit.

· Tâche double du poète : établir la validité des signes et réévaluer nos raisons de vivre.