James sacré


Ce texte a paru dans  la revue Le Nouveau recueil, aux éditions Champ vallon


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 La revue trimestrielle de littérature et de critique Le Nouveau recueil que publient les éditions Champ vallon fêtera en mars 2005 sa vingtième année


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    James Sacré

    Une boulange de lyrisme critique

     


    « Lyrisme critique » dans le début de la question, « poésie et pensée » plus loin, puis célébration « se renversant en puissance d'examen ». Comme si la première formulation, en ses deux mots fortement liés, « lyrisme critique », se défaisait malgré tout en éléments quand même antagonistes. « Lyrisme critique » : formule d'un désir... mais peut-être d'un impossible désir ? Et comme si le « chant » néanmoins ( le lyrisme, donc) pouvait se faire entendre encore en ses « retournements » d'examen et de pensée critique... Est-ce que j'ai bien entendu la question ?

     

    ***

     

    Sans doute que je ne suis pas bien préparé à penser cette question. Mais enfin je prétends écrire (poème ou pas, lyrisme ou pas). Écrire, vainement ou avec quelque succès (ce qui prouverait quoi ? ), mais écrire. Comment donc est-ce que je m'arrange (mais je ne peux prétendre engager les autres avec mes raisonnements) de ce qu'est mon peu de pensée critique en mon écriture ?

     

    ***

     

    Si le lyrisme est une célébration, une adhésion au monde, à des sentiments, à la matérialité d'un langage, on imagine en effet mal, a priori, qu'il puisse introduire en son élan un mouvement qui serait comme un doute ; à moins que cette interrogation sur soi lui permette de se mieux comprendre, puis d'affirmer plus fortement encore, après, l'élan de célébration. Mais cette opposition entre critique et célébration lyrique n'est-elle pas une fausse vue de l'esprit ? Car le désir de critique n'est-il pas encore une manifestation de lyrisme, même lorsqu'il éloigne dans la plus grande distance (et c'est toujours dans une sorte de passion de dire et de prouver), non plus seulement l'objet de célébration, mais la possibilité même de cette célébration ?

    Je le crois, l'irruption de la critique dans une écriture lyrique n'empêche en rien le lyrisme, et le nourrit plutôt, tout comme une pensée de la négativité peut sauvegarder en un horizon toujours repoussé plus loin la vague idée d'un dieu.

    Une critique lyrique donc. Au meilleur sens du terme lyrique souvent (passion, concepts qui sont aussi la sensibilité, inquiétude et désir) ; mais une critique qui peut rejoindre aussi, parfois, les lyrismes les plus éculés, s'installant dans une sorte de sentiment intellectuel confortable que d'aucuns s'empressent de proclamer moderne, en une, somme toute, pas si surprenante auto-célébration.

     

    ***

     

    Mais aussi, comment parler de lyrisme critique si je ne sais pas ce que j'entends par le mot « lyrisme » ?

    Le lyrisme : affaire d'intériorité (convaincue, inquiète ou joueuse) qui s'emmêle infiniment au monde, au langage, à de grandes questions sans fond ou à des futilités ; affaires de formes dont on ne sait plus s'il faut les abandonner (pour quoi d'autre qui serait enfin &emdash; fût-ce momentanément &emdash; la vraie forme ? )ou les pétrir encore (pour un pain de poésie qui pourrait quoi sauver ?)

    Et cela se ferait par un « chant » ... mais ce chant n'est que le bruit du poème : tout un ensemble hétéroclite d'éléments (bien mal saisissables, malgré le bel acharnement des critiques à vouloir les définir et les comprendre en des agencements toujours à la fin vainement construits ). Un bruit, semble-t-il, où l'ordre et le désordre se relancent l'un l'autre en des réseaux de rythmes, à tous les niveaux du langage ; dans de multiples rapports avec le monde et soi-même, où brillent et s'effacent, tour à tour, des effets de sens, des illusions de plaisir et des inconforts, en une surprenante figure de vie et de mots semblable à cette autre banale figure que nous sommes, pétrie de mort et de vie.

    Voilà, je crois, ce qu'est le lyrisme pour moi ... ne pourrait-on pas se contenter de parler d'un plaisir ou d'un tourment d'écrire ? D'écrire ça qu'on appelle des poèmes. Des poèmes qui forcément se donnent à lire en de multiples apparitions de formalismes divers. Ces formalismes (les pires et les meilleurs, et qui sont toujours expérience et vécu) étant la matière où l'écriture s'égare (croyant parfois se trouver) entre insignifiance (délires par exemple du lyrisme) dont on ne saura rien dire, et nouvel idéalisme (conséquence d'un mouvement critique) aussitôt qu'un précédent se trouve dénoncé.

     

    ***

     

    Et puis on pouvait se demander s'il est possible d'introduire dans un poème lyrique une dimension critique sans faire usage de pensée conceptuelle ? Il me semble bien que oui, et par ailleurs je ne vois pas pourquoi la pensée conceptuelle ne serait pas susceptible d'être matériau de poésie.

    Il me semble bien que oui parce que la critique peut en effet se dire aussi par gestes, par le faire. Quand mon père trouvait que je savais pas bien me débrouiller pour me servir d'une fourche pour nettoyer les vaches par exemple, je n'avais droit à aucune explication : il me la prenait des mains et me la montrait. Autant j'avais laissé paraître ma maladresse et ma naïveté laborieuse dans ma façon de travailler, autant dans la sienne il me proposait une modification possible de mes gestes pour que le travail soit , pas tellement finalement mieux fait, mais fait autrement, plus vite peut-être, selon un autre rythme, ou dans un enchaînement plus souple et solide des gestes. N'était-ce pas déjà, là au cul des vaches, une bonne leçon de poétique ? Profitant de sa démonstration, j'ai fini par avoir mes propres façons de faire (qui, en somme, critiquaient à leur tour la sienne).

    Un poème n'est-il pas toujours une façon de dire ? Singulière, ou communautaire parfois. N'est-il pas toujours une façon de dire autrement ? Légèrement ou radicalement autrement (bien qu'on puisse aussi imaginer des poèmes qui se voueraient au vertige d'une parfaite imitation de ce qui a été auparavant lu). Et dans cette façon de dire il y a non seulement des gestes critiques de ce qui a précédé, mais aussi, dans les manières de se chercher, ou de s'interroger, une critique de ce qu'on est en train d'écrire : une incessante proposition (à l'insu parfois &emdash; et toujours aussi semble-t-il &emdash; de celui qui écrit) de nouvelles formes-vie de l'écriture.

    Il n'est probablement pas possible « d'écrire » sans montrer dans le même temps la possibilité d'un art poétique (et l'on peut s'aventurer à dire à ce sujet que les poèmes des Regrets de Du Bellay se sont révélés plus riches d'enseignement, d'incitations à écrire, et encore aujourd'hui, que sa Défense et Illustration de la langue française. Et s'il fallait donner un exemple fort d'œuvre lyrique qui porte en elle une comme infinie force critique, il suffirait de penser à celle de Rimbaud (dans ses façons de dire justement, et celles de dire, en particulier, des éléments de pensée conceptuelle qui sont aussi, à cause de la forme, avec elle, encore un matériau lyriquement travaillé, une boulange de lyrisme critique, dans ses poèmes).

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