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Jean-Claude Pinson

 

Leos leçon lyrique


 

 Ne ressemblez à rien. Cherchez en vous et soyez vrai, m'a-t-il conseillé. Laissez venir la pulsation intérieure. Ne désespérez pas, j'ai bien attendu d'avoir soixante-dix ans pour composer mon premier quatuor

 

Janacek

 

en Moravie Janacek

amoureux composait à sec

sur du papier blanc non du papier réglé

Leos lyrique et jeune

 

lyrique XXL Iks Iks Elle

 

 

hiver en flocons fécond

les bruits en ville se tenaient coits

au milieu des glaçons amour

maigre en coïts mais

pas de quoi n'est-ce pas

 

hiver où elle était avec ses pulls

sous la couette et le matin sa voix

embrumée d'angine, tabac, anxiolitique,

 

hiver de téléphone où chantonnait

dans les nasales un peu de la tiédeur

du creux du lit où elle endormait

son angoisse et nounours

un homme vraiment fidèle et modèle

un lyrique lui vraiment sec

jamais la moindre larme

 

hiver chat et chant, clarinette et tuba, prostration at home et voix de laine au téléphone etc.

 

 

 

 

Ah, Leos, vous avez bien de la chance de pouvoir raconter ça avec des notes sans avoir à vous expliquer, à raconter, à passer aux aveux

 

 

 

jours de neige sur les toits dans le temps de l'avent

juste le chuintement du gaz

ce jour où je la pris tremblante aux épaules

pour un baiser on ne peut plus chaste sur le front

pour un tu paternel finalement tué

juste un écho dans le bois du piano

cercueil idéal des sentiments morts-nés

 

 

 

autarcie nous aurions pu tenir

nous avions du blé du poisson

des figues sèches et du vin rouge

du sel et de la viande de mouton

de la musique en conserve

la neige pouvait durer

nous serions restés des jours et des jours

devant l'écran bleu très pâle

bleu-trépas car finalement faux frères

devant le faux piano de l'ordinateur

avec biscotte au goût de fumée amère

de thé citron léger très vite refroidi

 

 

 

 

 

 

Apprenez à poser votre voix. Vous qui avez la chance d'habiter près de la mer, n'hésitez pas. Allez par les nuits d'insomnie sur la plage. Dites n'importe quoi face au vent. En algonquin, en iroquois, parlez à travers l'hygiaphone géant de l'océan. Détachez bien les mots. Par paquets de notes comme des paquets de mer. Apprenez à hurler aphone en américain. Apprenez le chuchoté-crié. Peut-être qu'elle vous entendra là-bas sur l'autre rive

 

 

 

j'aurais au moins appris par cœur

ses leçons froides de colère

sa langue brusquement glagolitique

 

noté son cri ravi rayant le givre venu aux vitres

appris à retenir mon souffle

pour mieux faire l'inventaire de son grenier

 

appris l'indécision de l'instant

à ne pas repousser ses ténèbres

son cœur de lièvre à gorge tiède

 

appris la fatigue de vivre

quand la chasse d'eau verse

régulièrement sa larme froide

 

et qu'elle vous boude à l'autre bout

appris à boire l'odeur de lait

dans son haleine à défaut de baisers

 

 

 

 

 

N'oubliez pas, a-t-il poursuivi, que la forme n'est jamais que le fond venu à la surface. De l'essentiel venu avec la neige. De la neige H2O, de la neige en nuages quand on est en avion, de la neige fuguée en quelques notes de Bach façon Gould, ou stockée surgelée dans un lointain sonnet de Marot. Peu importe. Mais de la neige

 

neige qui vole sur les toits emportée par le vent

 

 

tandis qu'elle faisait sa voix

trop de lumière de neige à ses fenêtres

faisait mes gestes bégayer

au bord du pays étrange

où rien ne ressemble à rien

où son chat celui qui a tout vu

montait la garde

en caftan noir

faisait des bonds ensuite au grenier

 

d'où cette histoire gelée de sexe à couacs

 

 

 

 

(beaucoup de neige fondue ensuite dans les recueils de poésie parus l'année suivante. Maximal enneigement en Dichterland. Coton sur coton. Mois du blanc, du silence, de poésie coite sous la couette en coton)

 

 

 

 

Ne pas développer ne pas varier. Découpez les motifs (les plus denses, les plus dansants, trois notes ou quatre, guère plus). Contentez-vous de les juxtaposer. « Je voudrais, écrit-il, des compositeurs-pinsons qui composent parce qu'ils le sentent, qui débordent de musique mais qui savent aussi garder le silence. » Intéressant. M'apprend ainsi au passage que « le pinson chante seulement sur une note. »

 

 

 

elle excellait dans les silences

j'avais à table tout loisir

d'étudier la carte

météo de son visage

où les nuages filaient

venus d'un triste Finistère

 

au bout du fil

autres silences

chargés de neige

à peine un souffle

un bruit de pelle

pelle à neige étouffant un

sanglot et le souvenir

de lacets très serrés dans les collines

pays de chasse pas très bohême

d'où fallut bien en costume de chien

de chien couard chien marri

s'en revenir avec un bout d'oreille en moins

vaincu par ses cris de félin

(ainsi effraie-t-on l'ennemi

à la guerre chez les Maoris)

 

 

 

Alternez motifs brefs et vers longs. Des proses longues surtout qui servent de lanceur à la fusée du vers. Ne pas rédiger. Plutôt secouer chaque motif. En faire tomber les flocons.

Jouez les DJ, poursuit Leos, mixez d'un peu de portugais vos vieux disques assimil de russe. Allez dans les cafés. Même au zoo, notez-y la conversation des chimpanzés ou bien les cris des phoques ploufant dans l'eau. Excellent vous verrez pour votre poézie. Toujours un œil sur le tempo du parler, sa pulsation intérieure. Prenez l'air aussi. Allez écouter respirer les montagnes

 

 

 

chasseur de voix, de noix, de noises

je montais au grenier

avec filet à papillon, magnéto d'ethnomusico

 

comptant bien capturer deux ou trois notes

ou cris échappés de son appartement

cherchant le fantôme X-Sender de la Zorro Zenderin qui m'avait zébré les côtes

 

n'y séchaient pas de noix, n'y erraient pas de voix

seulement de vieux meubles et pots de chambre en émail

sans doute à trop grincer des dents avais-je effrayé les revenantes

 

 

 

 

 

Hautes fenêtres du siècle des Lumières

où tombaient l'hiver les grands ciels

agités venus de l'océan

 

mes dormeuses amoureuses pourquoi ont-elles

toujours aimé les hauts plafonds

et les derniers étages de vieux appartements

 

vigie je les veillais ne dormant pas

épiant les pas du tromblon noir

qui grognait au grenier son air de chagrin épineux

 

 

 

À dormir debout, de plus en plus, votre histoire, a commenté Beaudelaire (j'expliquerai un jour ce qu'il vient lui faire là avec un e muet), soudain sorti de l'aphasie. A pesté contre ce lyrisme trop féminin. A maugréé que je devrais plutôt me mettre dans la tête que la femme n'est qu'un dépôt naturel, trop naturel, de saindoux. &endash; Sans doute sa façon à lui d'honorer la douceur des seins.

 

 

 

 

Cependant Leopardi, qui a découvert, émerveillé, ma chaîne hi-fi, n'arrête pas de jouer de la télécommande. Le string quartet number one de Leos l'enchante. Ah ! le quatrième mouvement. Feroce, feroce, crie-t-il, enthousiaste, en l'écoutant.

Et le second mouvement du Capriccio. Ah ! l'effet de lointain du tuba et du cor quand on les entend jouer au grand méchant loup derrière les collines !

 

 

Leos Leopardi Giacomo Janacek

aérolithes à la mort à la vie

tombés l'un au milieu des bois de Moravie

l'autre dans les marges des Marches pauvres

 

 

 

Non, la vie avant tout, proteste Janacek. L'éternelle jeunesse, toujours. La vie est jeune. Ah j'aime effroyablement vivre.

 

Leopardi pas vraiment d'accord. Mais pour l'instant s'en moque. S'enivre au son de l'alto qu'on entend dans le premier adagio du second quatuor. Virevolte en majesté lente sur le tapis comme un derviche

 

 

 

 

 

 

Après ? ah après

il y eut de longues journées

à passer la lasure

couche après couche

effaçant je ne sais quoi

à envoyer des e-mail

pour émailler les jours d'un peu d'azur

 

je lisais le courrier du cœur des animaux

splendide berger allemand mâle de deux ans

à l'allure impériale, d'une gentillesse rare et d'un caractère en or, très équilibré. je suis celui que vous cherchez si vous êtes un inconditionnel des BA.

Non, je préfère les épagneuls bretons, étant un provincial des bords de mer, juste un joueur de bombarde

 

 

Assumez votre statut de poète local, m'a conseillé Leos. Vous savez, à Vienne et à Prague, ils m'ont longtemps pris pour un simple folkloriste.

 

N'en faîtes pas toute une histoire, a ajouté Beaudelaire. Feriez mieux de venir avec moi à Lisbonne.

Me suis souvenu alors d'avoir noté cette phrase où il s'écrie : « Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d'habiter Lisbonne ? Il doit y faire chaud, et tu t'y ragaillardirais comme un lézard...»

 

Et c'est ainsi que nous avons quitté Bruxelles, pris l'avion pour Lisbonne, tous ensemble, Leos et Leo, la chatte Nadja dans son panier et l'épagneul breton Breton en laisse, B. et moi les surveillant, avec un billet de groupe.

Beaudelaire pour l'occasion avait mis son

 

gilet rouge

en l'honneur des œillets

huit jours à boire du vin

du fado sous les voûtes

sanglots à la chandelle des guitares

à faire les fadas pour ne penser

nada nitchevo à rien


© Jean-Claude Pinson.