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    Œuvres en dialogue : Michaux et Zao Wou-ki

    par Florence Trocmé



    Poèmes-lectures

    1949, le peintre Zao Wou-ki arrive de Chine et s'installe à Paris. Hésitant encore sur la technique qu'il veut employer, il s'intéresse à la lithographie et se rend dans un atelier qui vient de réaliser une importante série pour Henri Michaux, les Meidosems. Confronté à ces premiers essais de Zao Wou-ki, Michaux est tout de suite vivement attiré par son travail et écrit un texte intitulé "Lecture de huit lithographies de Zao Wou-ki"*.

    Le terme "lecture" n'est pas choisi au hasard ! Dans une sorte de préface aux huit textes composés à partir des huit lithographies, Michaux s'en explique. Lire un livre, dit-il en substance, est très ennuyeux car le chemin y est tout tracé par les lignes et les pages. Aucune liberté de cheminement. En revanche, dans un tableau, promenade ad libitum : "à gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté. Pas de trajet, mille trajets". Tout est là, certes, mais rien n'est encore connu dans le premier regard. "C'est ici qu'il faut vraiment commencer à LIRE".
    Et de répondre immédiatement à sa propre invite en se faisant "lecteur" des lithographies de Zao Wou-ki. Non sans inviter tout un chacun à en faire autant.

    Chaque double page du volume de la Pléiade présente à gauche le texte de Michaux, à droite une reproduction d'une des lithos. Une première constatation : les textes se présentent comme des poèmes avec correspondance visuelle entre les deux pages. C'est une invitation à la double lecture, promenade dans les images et dans le texte, en un aller et retour passionnant. Michaux se laisse absorber par l'image et en développe une description. Mais c'est une description à la Michaux, qui n'est en rien neutre, détachée et qui implique le corps du spectateur.
    Ainsi de cette première œuvre qui représente des poissons que le poète caractérise très fortement comme "ceux de l'obstacle de l'eau" qu'il oppose "à ceux de l'obstacle de l'air". Par cette seule remarque, sortant du plan du tableau pour entrer dans le plan perpendiculaire, celui de l'interaction entre l'image et celui qui la regarde, il donne à éprouver et à imaginer, en une démarche qui est constante dans son œuvre. Nous voilà transformés en poissons soumis à la résistance de l'eau ! Quel effet cela peut-il produire ? Comment peut-on être poisson ? Quel agrandissement soudain de nos perceptions, de notre monde imaginaire !
    Ces brefs poèmes sont un cheminement dans les différentes dimensions de l'espace et du sens. Ils développent une richesse sémantique extrême passant sans cesse de la description à l'interprétation. La méditation poétique met en contact des plans différents. Elle dessine un réseau de chiffrages, associations, superpositions, sauts, en une création dense d'images verbales qui entrent en résonance avec les images peintes. Ainsi du halo blanc de la lune, dans la deuxième lithographie, qui devient soudain "frai" en liaison étroite avec le couple enlacé figuré au cœur de la forêt.
    Michaux dessine aussi littéralement son texte, en graphiste, en typographe et en peintre, déployant ses phrases dans l'horizontalité, jouant sur la longueur des vers pour traduire les lignes de force haut/bas, droite/gauche, devant/derrière qu'il découvre dans le tableau.

    Il s'intéresse en revanche assez peu à la technique picturale ce qui peut surprendre alors qu'il est lui-même peintre, dessinateur et qu'on sait qu'il avait avec Zao Wou-ki de grandes conversations sur les encres, les papiers, les pinceaux. Les évocations de couleur sont rares mais magistrales : le "vouloir vert sans verdure", le "sang paprika", cette lune "bleue comme de coups reçus presque noire" ou enfin ce "blanc de deuil".
    Quelle variété enfin dans l'approche (reflet de l'étonnante variété des images du peintre) : la huitième lithographie est racontée comme une scène de théâtre, l'outarde, la sauterelle et l'arbre campant presque une fable de la Fontaine tandis qu'ailleurs passe l'ombre de mythes, de batailles anciennes, d'épopées.

    Michaux devient ainsi sujet de l'image et vibre de toutes les sensations que peut provoquer l'œuvre, sensible aux registres de la couleur, de la symbolique, de la mise en espace, ouverts à toutes les associations poétiques ou légendaires. Ni "claire analyse", ni "pure recréation gratuite", cette approche très particulière tend plutôt à une "co-création". Le poète tient la bride de son imagination dans le strict cadre de l'œuvre mais, s'y impliquant entièrement avec toutes ses intuitions, son intelligence, sa culture, il en double la portée.

    Florence Trocmé


    * Ce texte accompagné de la reproduction des huit lithographies est disponible dans le volume II des œuvres de Michaux dans la Pléiade. Il est accompagné d'un remarquable appareil de notes et commentaires, notamment sur l'histoire de la rencontre entre Michaux et Zao Wou-ki.