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Textes, essais, entretiens

Essais généraux

 

    Université & Poésie

    Entretien paru dans "Zigzag poésie", numéro de la revue Autrement publié en avril 2001. Ce numéro a été dirigé par Christophe Fauchon et Frank Smith.


    Quelle place est faite à la poésie contemporaine française à l’université ?

    Force est de constater que la poésie contemporaine n’a que très lentement accès à l’université qui ne constitue qu’avec prudence les oeuvres actuelles en objets d’études. Poids de la tradition, des concours et des dissertations : même en matière de “ recherche ”, on s’aventure assez rarement au-delà des années 1960... Il a par exemple fallu attendre 1994 pour voir le premier colloque sur l’œuvre de Jacques Dupin se tenir à l’université de Lille, à l’initiative de Dominique Viart. Seuls Yves Bonnefoy et Philippe Jaccottet ont connu une reconnaissance plus précoce, en voyant notamment certaines de leurs œuvres inscrites aux programmes des Concours d’entrée aux grandes Ecoles. Parmi les auteurs nés dans les années trente, il n’est guère que Michel Deguy ou Jacques Réda pour avoir fait l’objet de colloques importants. La reconnaissance est donc lente, l’imprégnation se fait de manière aléatoire, à la faveur de tel ou tel enseignement particulier, mais on ne peut pas dire qu’un véritable dialogue assidu se soit instauré entre la poésie contemporaine et l’université !
    Toutefois, la situation s’améliore peu à peu, à l’occasion d’initiatives comme celle de la Maison des écrivains “ Ecrivains à l’université ” qui consiste en l’organisation de visites plus ou moins longues d’auteurs : aussi bien des interventions ponctuelles que des ateliers d’écriture durant plusieurs semaines. Mais cela reste marginal par rapport au programme des étudiants. On est bien loin de ce qui se passe aux Etats-Unis où des cours sont assurés par des poètes, et où s’instaure une relation plus étroite entre la création et l’enseignement. Bien sûr, la perspective universitaire y est différente : il s’agit davantage de favoriser la singularité de chacun. En France, l’horizon de l’étudiant en Lettres reste principalement les concours, capes ou agrégation, ce qui n’est évidemment pas fait pour favoriser la venue des poètes dans l’université ! Les invitations restent pour l’essentiel du ressort des initiatives individuelles.

    Il y a néanmoins des lieux où régulièrement des poètes sont présents. Je pense à ce qui s’est fait à Paris III à l’époque où Mme Claude Debon organisait des rencontres régulières sur la poésie contemporaine. A l’heure actuelle, Michel Collot a pris la relève. Jean-Marie Gleize qui m’a succédé au Centre d’Etudes Poétiques de l’E.N.S de Fontenay, poursuit également dans le même sens. Des manifestations de ce type ont lieu à l’Université de Pau, ou à Lyon II, autour de Jean-Yves Debreuille, qui a contribué à l’organisation du premier colloque sur Jacques Réda...C’est en réalité tout un environnement qui vient favoriser de telles entreprises : quand plusieurs enseignants travaillent de concert, ou bien lorsque l’université se trouve à proximité d’une institution dynamique, comme la Villa Gillet à Lyon. Laissée à elle-même, elle aurait plutôt tendance à se recroqueviller. Certaines rencontres importantes se font ainsi hors les murs : par exemple Dominique Rabaté qui enseigne à Bordeaux III vient d’organiser au Centre international de poésie de Marseille un colloque sur “ Poésie et autobiographie ” où sont représentées les principales tendances de la poésie actuelle. De telles ouvertures sont précieuses.

    Il n’est certes pas rare que soit dispensé à l’université un cours sur la poésie du XXème siècle, mais selon que l’étudiant se trouvera à tel ou tel endroit, ce cours sera bien différent : soit il en restera aux surréalistes, soit il s’aventurera jusqu’à l’extrême contemporain ”. Parfois se constituent des groupes, des “ familles ” critiques, ou des tendances locales : à Metz, on travaille sur la spiritualité, à Strasbourg Philippe Lacoue-Labarthe ou Jean-Luc Nancy ont sans doute contribué à donner à la réflexion sur la poésie une inflexion plus philosophique. Mais dans l’ensemble, la modernité à l’université, c’est d’abord Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, puis Apollinaire et les surréalistes, enfin quelques pages d’Yves Bonnefoy ou de Philippe Jaccottet … Souvent on s’arrête là ! Même Michaux désoriente. Et quand Fureur et mystère de René Char a été mis au programme de l’agrégation, il semble que les jurys aient eu bien du mal à évaluer les explications présentées à l’oral... Tout se passe comme si l’Université manquait en vérité d’outils pour faire face au contemporain. Sans doute le questionnement de fond sur le “ poétique ” n’y est-il pas assez pratiqué. Cela tient aussi pour une part à une certaine passivité des enseignants, rarement curieux du vif de notre aujourd’hui.

    Quand je suis arrivé à Nanterre, personne ne m’a empêché de mettre en place mon cours de licence sur “ poésie et réalité de 1945 à 1995 ”. Cela a eu pour conséquence qu’un an plus tard j’ai dirigé des maîtrises sur Michel Deguy, Guy Goffette ou Valère Novarina ! Les étudiants sont très désireux d’arpenter le territoire inconnu de “ l’extrême contemporain ”. Evidemment, ils se heurtent à la difficulté de développer une recherche sans l’appui d’un important appareil critique, mais ce défaut même les conduit à s’engager plus directement dans l’oeuvre. Un autre problème concerne les processus d’évaluation : sanctionner un cours annuel sur la poésie contemporaine par une dissertation de deux heures n’est pas du tout adapté...


    Percevez vous une différence entre le traitement de la poésie et celui du roman ?

    Il me semble que la situation est à peu près la même, mais que l’étude de la poésie actuelle implique une connaissance plus aiguë du champ, des tendances, des filiations, des inflexions et des ruptures, du jeu des influences et des groupes... Sans doute peut-on décrire et étudier plus facilement des voix romanesques comme celles d’Annie Ernaux ou Sylvie Germain que débroussailler le grand maquis des écritures poétiques d’aujourd’hui. Par ailleurs, la poésie est cet espace formel où l’attention la plus scrupuleuse est portée au langage, où la concentration de (et sur) la langue est la plus vive. C’est donc bien le lieu où s’ajointe de la façon la plus décisive le travail sur la forme et sur le “ fond ”. D’où son extrême importance dans l’enseignement, puisqu’elle permet aussi bien de mettre en examen le contemporain que notre parole et notre mémoire. Elle invite les étudiants à travailler indirectement sur eux-mêmes, leur histoire et leur propre capacité articulatoire. Je suis frappé de voir que nombre d’entre eux écrivent, continuent de faire des revues, ou de vouloir en faire, souvent avec des attentes un peu naïves, comme c’est normal à vingt ans, en confondant encore parfois la poésie avec le cri ou avec l’ornementation. Mais on les sent désireux d’entrer dans la complexité et dans l’exigence que cela représente. Plus que du roman, ils attendent du poème qu’il leur apporte de l’intense et du vrai. Ils ont des “ comptes ” à régler avec la poésie.

    Ne pourrait-on tirer un meilleur parti de cette attente ? Il conviendrait de penser différemment la part de la littérature contemporaine à l’université, sa présence vivante, la circulation concrète des auteurs, de manière à ce que le fait littéraire y prenne corps. Il faudrait pour cela que l’enseignant accepte de voir le poète arriver dans son cours comme celui qui va perturber le discours du savoir et de l’autorité. Qu’il le reçoive comme celui avec qui la question du langage et de la connaissance s’aggrave. La poésie, n’est-ce pas cette écriture qui vient buter contre les limites du langage ? Notre université reste très marquée par la hiérarchie et les rapports de pouvoir qui font que chacun s’y veut propriétaire d’un domaine, gestionnaire d’un territoire strictement délimité! Conjugué à la pesanteur institutionnelle, le mandarinat existe. Il faudrait dépoussiérer cela.


    Que percevez-vous des attentes de vos étudiants ?

    Les mémoires de maîtrise que je viens de faire soutenir m’ont pour le moins rendu perplexe : nombre d’étudiants rédigent dans une langue précise et efficace, voire avec un certain brio, mais sans se couler dans les moules préparés par l’institution. Qu’avons-nous à leur proposer d’autre que des “ concours d’enseignement ” ? Certains bifurqueront vers un DESS d’édition, une école de journalisme, ou la FEMIS... Mais ce sera alors en s’écartant de l’enseignement littéraire. En l’oubliant bientôt. Et, puisque je travaille sur le contemporain, je vois venir en nombre ces jeunes gens au profil peu classique, sans leur ouvrir d’issue... Ne pourrait-on imaginer que trouvent place dans un UFR de lettres des formations moins traditionnelles débouchant sur de vrais emplois ? Ce n’est pas seulement l’université qui est ici en cause, mais l’organisation même de notre société dont le centralisme s’essouffle. Les formations et les filières continuent d’être organisées en fonction de ces grands Référents que sont l’agrégation et la thèse ! Il est urgent de réfléchir à d’autres logiques plus en accord avec les réalités d’aujourd’hui. Urgent sans doute aussi de s’approprier la littérature d’une autre manière

    J’avais déjà souffert de ce décalage entre les procédures obligées et les attentes réelles à l’époque où j’enseignais à l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay. Qu’ont réellement envie de faire les jeunes "intégrés" qui seront plus tard professeurs ? Du cinéma, du chinois, de l’arabe ou de la publicité, quand ils ne sont pas tout entiers obsédés par leur future carrière ! En tous cas, ils ne veulent plus guère entendre parler de poésie. Ils ont trop souffert du maniement de la boîte à outils, en classes préparatoires. Souvent, ils ne savent plus où ils en sont avec la littérature que pourtant ils avaient choisie... Leurs propres désirs d’écriture peuvent être forts, mais à force de décortiquer des stratégies et des situations d’énonciation, ils en ont perdu le sens... Si ces jeunes gens brillants avaient décidé un jour d’étudier la littérature, c’est qu’ils en attendaient quelque chose dont ils pensaient qu’elle seule pouvait le leur donner : du sens à vif, de la beauté, de l’émotion, de l’intensité, que sais-je ? Or ils perdent cela en route : lorsqu’ils arrivent à l’Ecole, ils ne savent plus ce qu’ils y font... Leur rapport au contemporain s’avérant difficile, ils se replient souvent sur les oeuvres du Moyen-Age ou sur la linguistique, c’est-à-dire sur des objets d’étude se situant très loin de leur sensibilité et de leur expérience immédiate.


    Comment concilier votre statut de poète et celui de professeur ?

    Je m’efforce de ne jamais parler de mon travail personnel pendant mes cours et de présenter les diverses tendances de la poésie actuelle avec la plus grande objectivité possible. S’il arrive que mes étudiants viennent me parler de mes livres, ce sera toujours dans un couloir, jamais pendant un cours. En revanche, je sais très bien que mon expérience propre de l’écriture influe sur ma manière d’aborder les textes ou de parler de la poésie en général. Je m’inquiète de plus près du sort de cet homme penché qu’est l’écrivain, de son “ bouchoreille ” avec autrui, ou de l’articulation entre la poésie et notre aujourd’hui...
    Ce qui m’inquiète davantage est la part croissante prise dans mon travail par la réflexion et les travaux critiques. Même si l’on sait depuis Baudelaire que le poète moderne se double fatalement d’un critique, ma situation d’universitaire a pour effet de réduire la part de la création même au profit de la théorie. Ou peut-être serait-il plus juste de souligner combien l’exercice de la critique renforce et diffracte ce questionnement crucial sur la parole et sur les signes qui constitue le coeur même de mon travail d’écrivain


    Un dédoublement douloureux ?

    Ce dédoublement est parfois difficile. On ne peut confondre les rôles pour des raisons déontologiques évidentes. L’institution même contraint à les séparer nettement. Là où je suis fonctionnaire de l’Etat français, identifié comme “ professeur ”, je me comporte en professeur. Ne nous leurrons pas: le fait d’écrire est plutôt mal vu de l’institution, quand il n’est pas tout simplement ignoré. Il arrive même qu’il s’accompagne d’un certain “ retrait ” en termes de carrière. Comment prendre des directions de thèse, animer des séminaires de recherche et développer simultanément un vrai travail d’écrivain ? On n’est pas tout à fait considéré comme sérieux quand on écrit de la poésie, alors même que l’on se tient au plus vif de la langue. Certains professeurs disent que nous sommes des poètes et certains poètes que nous sommes des professeurs !

    J’essaye toutefois d’assurer une continuité entre ces deux gestes apparemment contradictoires que seraient la fixation de repères par l’enseignant et leur mise en crise par l’écrivain. S’il s’agit de perdre des repères, n’est-ce pas pour les ressaisir, défigurer pour reconfigurer ? Et le travail de l’enseignant lui-même ne consiste-t-il pas pour une part à faire tomber des idées toutes faites pour leur substituer une mesure plus juste des choses ? Enseigner ne sera jamais pour moi une activité normative ! Evidemment, lorsqu’il s’agit de préparer des étudiants à l’agrégation, je suis obligé d’en passer par des exercices très codés, mais même dans ce cadre il me reste nécessaire d’entendre vibrer la littérature!
    Par ailleurs, mon propre travail d’écrivain n’est pas de ceux qui font particulièrement violence à la langue. L’écart entre la position professorale et l’écriture est sans doute plus aigu pour un poète tel que Christian Prigent qui, je crois, enseigne au Mans. Son oeuvre est écrite “ au couteau ”, elle égare les repères et met à plat le lyrisme. Pour ma part, j’ai un rapport articulatoire et critique à la langue plus paisible.


    Pensez vous qu’il serait souhaitable de mettre en place des cours de création poétique ?

    L’institution n’est pas prête pour cela, les blocages y sont trop nombreux, les cursus trop inadaptés... Cela dit, l’espace vivant du séminaire quand il suscite un sincère intérêt, permet de faire passer énormément d’une expérience acquise par la pratique, même sans que jamais l’on n’y parle directement de soi... Le lieu du séminaire est un lieu d’ouverture et de liberté intellectuelle où l’on peut conjuguer rigueur et créativité. Je me défie du spontanéisme qui voudrait laisser croire que l’on pourrait fabriquer des poètes dans les universités. Il s’agit davantage de se demander comment un enseignement organisé différemment pourrait favoriser l’apport strictement personnel, irremplaçable, de chacun. Trop souvent, le professeur dispense des cours qu’un autre pourrait faire tels quels à sa place... Le modèle hypothétique que la poésie pourrait ici fournir serait celui d’un enseignement qui conserverait toute son intensité, ne fonctionnerait pas par directives, mais serait plus interrogatif que normatif... Or j’ai l’impression que dans les collèges et les lycées on voit de plus en plus les programmes se substituer aux professeurs... De telles mesures sont destinées à rassurer les enseignants; elles entendent leur permettre d’affronter des publics plus difficiles… mais il ne faudrait pas que l’enseignement finisse par reposer sur une série de directives!


    Que pensez-vous des évolutions en cours dans l’organisation des études ?

    Dans le domaine des lettres, nous souffrons de l’importation et de la prédominance des modèles scientifiques. Notamment au niveau de l’évaluation. Ainsi a-t-on vu apparaître en lettres les thèses dites “ nouveau régime ”, rédigées en quatre ou cinq ans. Cela interdit d’embrasser de grands sujets. Une thèse sur « l’idée de bonheur au XVIIIème siècle » ou celle de nature au XVIème siècle est à présent inconcevable. Cela favorise l’émiettement et le souci de rentabilisation dans les études : le “ littéraire ” se perd dans ce qu’il avait de plus gratuit, d’incongru, de perturbant… de plus lent aussi. Or le rapport au sens me semble exiger un effort de dépliement, un souci, un soin qui impliquent cette lenteur.




    © Jean-Michel Maulpoix