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La poésie française dans les années 1950 : "Habiter" : présentation de la génération de poètes à laquelle appartient Philippe Jaccottet


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Eléments d'un cours sur l'oeuvre poétique de

Philippe Jaccottet

par Jean-Michel Maulpoix - Université Paris X-Nanterre - 2003-2004

Observation à propos de la mise en ligne de ces notes de cours


Remarques sur la lumière et l'obscurité dans L'Effraie et L'Ignorant de Philippe Jaccottet

  Introduction :

Nous choisissons de présenter ici quelques observations à propos du motif de la lumière et de l'obscurité dans les deux premiers recueils au programme, dans la mesure où ils y sont l'objet d'une évolution particulièrement significative.

Dans l'écriture poétique de P. Jaccottet se multiplient les effets de lumière, de pénombre, de nuit. Se dramatise l'affrontement de la lumière et de l'obscurité, du feu et de la cendre...

Les deux motifs sont très présents dans les titres de livres ("L'obscurité", "A la lumière d'hiver") ou de poèmes ("Notes pour le petit jour, "Prière entre la nuit et le jour"...)

Lumière et obscurité sont (de longue date : que l'on songe à Pascal ou à Victor Hugo...) deux métaphores de la condition ontologique, aussi bien qu'affective, intellectuelle et morale, de l'être humain.

Ces motifs s'accompagnent de (ou donnent lieu à) toute une gamme d'images : les étoiles, la lampe, l'huile, le chant du merle, le feu, la rosée du matin, la bougie...

Importance du lien de la lumière et de la voix pour celui qui souhaite une parole claire. par synesthésie, il est question du "murmure de la lumière" (67), ou de la voix humaine qui brille (68), ou de la voix du jour (68)... La clarté, parfois, se met à parler (72).

Le temps de l'Effraie

  • L'Effraie s'ouvre sur " la minuit de juin" : une nuit angoissante où retentit l'appel de l'oiseau nocturne et, à travers lui, de l'effroi, de la mort.

  • Presque aussitôt apparaît le motif de la lumière noyée : étoiles qui sombrent au coin des rues (25), tours de lumière qui se noient (26). Ce sont là autant de figures de la désorientation, l'extinction d'anciens feux ou phares qui guidaient dans la nuit : comme le marque nettement le poème de la page 26, les êtres sont rendus à une profonde solitude ontologique.

  • Cela a pour conséquence l'affirmation de la valeur du lien d'amour, seul véritable lieu, semble-t-il, seule réplique immédiate à l'obscurité (cf, p. 27). Encore l'amour lui-même apparaît-il menacé de l'intérieur par la valeur trop exclusive et solitaire qui est la sienne : il est exposé à l'angoisse, à la dépression (cf, p. 29 "notre ciel s'est éclairé d'un astre sombre". Plus encore, l'amour porte avec lui l'obscurité : il est le lieu de l'inconnu du désir (cf., p.30 "la brûlante obscurité de vos cheveux")

  • On assiste donc successivement à des efforts vers la lumière (pour accéder à...) et à des retours d'obscurité (comme on dirait des "retours de flamme" : le sujet lyrique se brûle à l'obscur qui périodiquement revient sur et vers lui, qui se referme sur lui (cf, p.31: "la mer est de nouveau obscure" // au poème suivant, c'est la douceur au contraire qui réapparaît avec la lumière qui "enfouit son visage dans notre cou".)

  • Il y a donc dans ce premier livre des sautes de lumière (comme d'humeur): une affectivité de la lumière, ou plutôt la présence insistante d'une crise affective, autant qu'ontologique, dont les jeux de lumière sont partie prenante. L'éclairage du monde est affecté par la vie intérieure du sujet lyrique.

Tel serait le premier temps de l'oeuvre : une opposition, relativement traditionnelle, entre lumière et obscurité, entre le clair et le sombre, au gré de l'alternance entre le positif et le négatif, entre l'amour de vivre et le désespoir de mourir. Le jeu de lumière est partie prenante de l'apprentissage de la finitude. Déjà se formule cependant l'apologie de la "voix claire" (36) ou du "temps clair" (46).

Le temps de L'ignorant

  • L'ignorant s'ouvre par une "prière entre la nuit et le jour" qui situe d'emblée le propos lyrique : dans un espace intermédiaire, intervallaire, où va se loger un appel en direction de l'aube, du petit jour. La scène initiale de L'effraie se voit reproduite, mais dans une tonalité autrement positive. On est à un tournant : le parti-pris de la lumière change de nature. A l'opposition succède la complémentarité, voire la production de la lumière par l'ombre.

  • Cela est net dès la page 52 quand apparaît le chant du merle (oiseau noir), aussi bien que le motif (v.3) de la lumière qui obscurcit : une nouvelle réversibilité s'affirme, à tout le moins une association étroite, donnant à entendre que la mort féconde la vie, éclaire la vie...

  • Ce dépassement de la contradiction est solidaire d'une reconnaissance accrue de la valeur de l'éphémère, senti comme "poétique" davantage que comme "tragique". On peut alors parler d'une poétique du petit jour : poétique de la complémentarité, réversibilité, acceptation de la finitude... dans le même temps, une certaine hauteur paraît prise, une certaine distance, par rapport aux aléas de la vie affective individuelle.

  • Le propos désormais tenu, tel que le résume la première strophe de la page 53, superpose l'amour de l'éphémère à la conscience de son extrême vulnérabilité.

  • Dès lors, on parvient, par exemple avec le poème "Au petit jour" (56) à ce renversement : la nuit est éclairante, le jour est aveuglant. La nuit nous fait ouvrir les yeux. Elle est le lieu de la plus grande conscience.

  • Le lieu propre au poète est nuit dans la nuit : "demeure de la violette" dans les ténèbres (p.56). Voici donc rendue acceptable, enfin acceptée, la situation initiale : habiter l'obscurité. 

  • Il peut ainsi être enfin question de "l'amoureuse nuit" (58) : lieu du secret ou du trésor qui "scintille dans la lumière". Parallèlement, il s'agit de "laisser briller le jour" (68) : double consentement à l'obscurité et à la clarté, acceptation d'une condition qui avait d'abord été dramatisée à l'excès.

  • C'est ainsi, curieusement, que la lune apparaît (se lève) avec insistance dans la poésie de Jaccottet, au milieu de l'Ignorant, comme figure de la clarté dans la nuit, voire de la clarté de la nuit : astre nocturne.

  • La nuit se trouve ainsi réhabitée par la lumière (contrairement au temps de L'Effraie). le ciel retrouve son astre. Une autre clarté est atteinte (définie p.71), "sur les pas de la lune" : "quelque chose de très faible et de très lumineux", mais qui appelle le consentement : "je dis oui et je m'en fus"

  • Ce "je m'en fus" épouse le mouvement de la vie même, son caractère éphémère, sa fugacité qui se conjugue au mouvement de la lumière même : "nomade est la lumière" (57), "les mouvements de la lumière" (74)

Ces remarques, qui gagneraient à être poursuivies à propos des autres recueils, font apparaître une évolution nette, voire un progrssif retournement des motifs qui aboutira plus tardivement à la figure de la lumière d'hiver, déjà perceptible p. 80 avec le "soleil d'hiver"...